Feltmann à Téhéran : le piège.


Leila Mazboudi

Mardi 27 août 2013

Tout observateur avisé ne peut fermer les yeux devant la visite à Téhéran de Jeffrey Feltmann, le secrétaire général adjoint aux affaires politiques des Nations Unies. La question cruciale qui se pose étant de savoir non pas ce qui s'est passé, mais surtout son réel objectif. Sachant qu'il existe une grande différence entre les deux. Et ce qui en a découlé.

 Les Iraniens ne sont pas dupes. Ils savent très bien que cette visite, n'a rien à voir avec le poste onusien de Feltmann, mais est inhérente à celle de « haut-commissaire » de son pays pour le Moyen Orient. Ils savent très bien ses réelles affinités politiques, loin des convenances diplomatiques, dont son soutien indéfectible à l'entité sioniste, et son aversion pour tous ceux qui la menacent. Leur nouveau ministre des affaires étrangères, Mohammad-Jawad Zarif est bien placé pour savoir tout cela : il est le politicien iranien qui connait le mieux les Etats-Unis, les Américains, les Nations Unies et les fonctionnaires internationaux.  

Quoiqu'il s'agisse « de la première expérience d'un dialogue directe et indirect avec les Etats Unis », cette visite est perçue comme une tentative de tâter le pouls iranien et de transmettre des messages  américains. Au moment où battent au plus fort les tambours d'une guerre occidentalo -golfique contre la Syrie, son alliée indéfectible.

Dans les faits, des sources iraniennes rapportent pour le quotidien libanais AsSafir qu'il y a eu trois tournées de discussions entre les deux diplomates. Leurs thèmes centraux ayant été la conférence de Genève II, et la présumée attaque chimique en Syrie.

S'agissant de la première, les questions de Feltmann se sont concentrées sur la vision iranienne de cette conférence et sur l'initiative de 6 points que Téhéran à mise au point pour régler la crise syrienne.
Après avoir émis certaines remarques sur la proposition iranienne, (les sources ne précisent pas lesquelles) il a dit que Téhéran pouvait jouer un rôle important, en raison de ses liens privilégiées avec le président syrien et son régime.

Paroles trop belles pour être vraies. Elles font croire que Feltmann et par derrière son administration américaine soutiennent un rôle iranien dans la crise syrienne et une solution discutée avec le président syrien. Compte tenu des véritables tendances de la politique américaine, qui veut se débarrasser catégoriquement de Bachar el- Assad , banni pour ses affinités avec Téhéran et le camp de la Résistance, ces suggestions semblent totalement fallacieuses. Leur formulation pourrait en revanche avoir pour but d'amadouer les Iraniens, pour mieux les tromper, sur le deuxième thème de la discussion .

Car s'agissant de l'attaque chimique, les discussions se sont crispées et sont devenues mois officielles. Les deux diplomates n'ont pas manqué de marquer leur divergences : le responsable iranien a pris la défense du pouvoir syrien excluant l'éventualité qu'il l'ait commise et accusant les rebelles syriens. Et son homologue américain onusien l'a imputé au régime, arguant qu'il a commis une erreur historique et qu'il doit être puni.

Selon les sources iraniennes, Feltmann a opéré un lien entre le châtiment et Genève II et a laissé entendre qu'il a pour but de réajuster l'équilibre des forces sur le terrain, profondément altéré à l'avantage des forces gouvernementales, en réalisant des frappes limitées, qui ne cassent pas le dos du régime, mais permettent à l'opposition armée de réaliser des points.

Dès lors, on comprend que ce sont les avancées de l'armée syrienne qui agacent les occidentaux. Raison pour laquelle l'ordre de l'attaque chimique a été donné, aux rebelles bien sûr, pour justifier leur intervention.
On comprend aussi que les Américains demandent indirectement aux Iraniens de ne pas aider la Syrie, leur allié, de les laisser la bombarder tout juste pour l'affaiblir, en leur faisant croire que leur intervention sera concise. Une énième tentative de séparer l'Iran de la Syrie. 

Ce n'est pas par hasard que le chef d'Etat-major américain Martin Dempsey a pris le soin le 19 aout dernier, avant que l'administration américaine ne prenne la décision de bombarder la Syrie, voire avant que la présumée attaque chimique n'ait lieu de signaler « qu'une intervention militaire de quelque nature que ce soit, même limitée, engagerait les Etats-Unis encore plus profondément dans le conflit syrien et aiderait des groupes d'opposition qui ne soutiennent pas les intérêts des Etats-Unis dans la région ».

Depuis les réticences russes et chinoises dans le dossier syrien et leur double veto, l'administration américaine joue l'indifférence, comme si elle a été acquise à leur version des faits et affiche une position préoccupée envers les extrémistes d'Al-Qaïda. Une position qui relève du faux-semblant, à voir leurs alliés européens, arabes et turcs les faire entrer par milliers en Syrie, financés, entrainés et armés jusqu'aux dents. 

Quant aux positions de Dempsey, exprimées alors que l'ordre de l'attaque chimique a été donné aux rebelles syriens, elles semblent vouloir préparer les décisions belliqueuses de son administration, -planifiées pour être prises après l'attaque-, et surtout donner du crédit aux assertions d'une frappe limitée.
 
Deux possibilités découlent des propos de Feltmann et Dempsey: soit ils sont sincères, soit ils relèvent du mensonge et de l'arnaque, et visent à neutraliser les alliés du pouvoir syrien, pour mieux s'en débarrasser.  

A voir la position russe molle de lundi, exprimée par le ministre des AE Serguei Lavrov et selon lequel son pays ne veut pas aller en guerre en Syrie, il semble que Moscou ait été acquise à la cause américaine.

Mais c'est du côté des Iraniens que le doute subsiste encore.

Leur position décidera non seulement du sort de la région, mais aussi de celui de l'intervention occidentale. Quitte à avoir compris le message tacite des Américains.
Selon Assafir, leur réponse à la proposition de Feltmann a été de lui dire : «  si vous êtes sérieux dans votre tentative de faire réussir Genève II, vous devez aller à Damas ». A bon entendeur salut.

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