L'HISTORIQUE DU S.A.C

DEVENU : M.I.L

"Mouvement Initiative et Liberté"

La main dans le SAC, ou quand le Milieu rencontre la politique. Fondée dans le but d'apporter un «soutien inconditionnel à la poursuite des objectifs définis par le Général», cette officine devint, au fil des années, une nébuleuse mêlant puissants caïds, policiers, hommes politiques de premier plan (Jacques Foccart, le «monsieur Afrique» de De Gaulle) et futurs élus (Charles Pasqua).


S.A.C. Trois lettres qui claquent. Trois lettres pour désigner une organisation, Service d'Action Civique, créée en décembre 1959. Héritier du service d'ordre du RPF (Rassemblement du Peuple Français), le Service d'Action Civique est officiellement une association à but non lucratif. Mais sous cette appellation innocente se cache une bien plus sinistre machine. Une « machine » qui, durant vingt ans, a traîné derrière elle une odeur de soufre sans que l'on sache exactement qui en faisait partie et quelle était sa motivation, sauf celle de haïr les communistes. Une police parallèle ? Un service d'ordre ? Une officine gaulliste ? Initialement, sa vocation était plutôt claire. Le SAC avait pour objectif de « rassembler toutes les personnes, sans distinction d'opinion ou de race, désireuses de soutenir l'action du général de Gaulle. » Son activité majeure devait alors consister en l'assurance de la sécurité des campagnes électorales des candidats gaullistes de l'UNR.

Fondé par Dominique Ponchardie, Roger Frey et Jacques Foccart à l'occasion du retour du Général au pouvoir, le SAC va très vite prendre une dimension tout autre que celle qui était la sienne au moment de sa création. Dès le changement de cap du général de Gaulle au sujet de la crise algérienne, le recrutement devint de moins en moins sérieux. En effet, beaucoup de membres initiaux du SAC ont démissionné car ils étaient favorables à une Algérie française. Les grognards du gaullisme partis, les dérives pouvaient alors commencer. Petits escrocs. Puis délinquants. Puis caïds. De fil en aiguille, le Service compte dans ses rangs des figures de plus en plus respectées du Milieu. Dans ce cadre, ce n'est pas une surprise de voir le caïd grenoblois Mathieu Mattei exercer le rôle de chauffeur du premier ministre Pompidou lors d'une visite à Grenoble de l'homme politique. Conséquence directe de cette dérive dans le recrutement : l'action du Service devient désordonnée. Pour ne pas dire violente. Fusillades durant les campagnes, assaut contre les grévistes, chasse aux militants du FLN...

Il faut bien avouer qu'une appartenance au SAC constitue un passe-droit des plus intéressants pour les truands. La carte tricolore de membre ne place pas son propriétaire au dessus des lois. Mais elle procure néanmoins des avantages indéniables. En effet, lorsqu'un truand titulaire de la fameuse carte tombait dans les mailles de la police, elle lui évitait, en général, d'avoir à affronter la justice. Pour la bonne et simple raison qu'il voyait les poursuites contre lui abandonnées. Certains hors-la-loi pouvaient même être libérés dans la journée suivant leur arrestation. Un certain Maurice Papon (poursuivi pour crime contre l'humanité) aurait été, selon certaines sources, en tant que préfet de Police, coutumier de telles procédures de libération.

Pour autant, il est très difficile de savoir quels voyous faisaient partie de l'officine. En effet, les fichiers des adhérents, tenus secrets, n'ont jamais été découverts. Sans être exhaustif, loin de là, nous pouvons toutefois en citer quelques uns. « Le Parrain » de Lyon tout d'abord, qui bénéficiait durant les années 60 de puissantes relations policières et politiques. A Grenoble, comme nous l'évoquions plus haut, le boss de la ville bénéficiait lui aussi de la protection du Service. L'homme, cousin d'Alexandre Sanguinetti (homme d'affaire, conseiller du ministre de l'intérieur et homme fort du SAC), régnait alors sur la prostitution de la région grenobloise. Les frères Z, maîtres des boîtes de nuits parisiennes, ont quant à eux bénéficié de protection jusqu'aux années 70. Un de leurs associés servait en effet de colleur d'affiche et d'agent électoral aux candidats gaullistes. Les truands marseillais ne sont pas en reste. A commencer par deux des principaux compères de Jean-Baptiste Croce durant la French Connection, qui ont eux aussi leur carte tricolore. Du côté de Nice, on citera notamment Bianchini ou encore Giaume. Les boss du Milieu niçois ont à tour de rôle été les dirigeants locaux du SAC. Enfin, pour ce qui concerne Aix-en-Provence, c'est une figure de la criminalité locale, un dénommé Sauveur, qui dirige l'antenne aixoise du Service.

Entrons un peu plus dans le détail. S'il était initialement dirigé par Pierre Debizet, le vrai patron était certainement Jacques Foccart, confident de De Gaulle. Les autres dirigeants gaullistes se nommaient Charles Pasqua (Charles Pasqua, qui a été vice-président de l'organisation, aurait été exclu du SAC sur ordre de Jacques Foccart au début de 1969 pour avoir tenté d'en prendre le contrôle à la faveur des événements de mai 1968), Roger Frey, Paul Comiti, Alexandre Sanguinetti, Dominique Ponchardier et Jean Bozzi. Mais pourquoi ces hommes ont-ils réalisé un tel recrutement alors qu'initialement anciens résistants, vétérans des guerres coloniales, policiers en retraite ou même en activité constituaient les principales cibles des recruteurs ? La réponse est très simple : les effectifs étaient insuffisants, d'où la nécessité de puiser dans les bas-fonds de Marseille et de Lyon.

A l'occasion, le SAC fournissait à ses troupes de fausses cartes de police et des armes. Bien payés, les hommes du SAC exécutaient les basses oeuvres du régime dont la police et l'armée ne pouvaient se rendre coupables : exécutions d'otages, infiltrations, tortures etc. L'histoire du Service ne compte plus bientôt les attentats, les passages à tabac, les fusillades, les cambriolages, les trafics de drogue, les chantages, les extorsions de fonds, les meurtres et les affaires de proxénétisme... C'est donc un fait bel et bien réel. Une véritable osmose a vu le jour entre les caïds et le SAC. Les chiffres sont là pour le prouver. Entre 1960 (année de création) et 1982 (année de désintégration), quelques 65 affaires, impliquant 106 membres du Service, ont pu être dénombrées.

Le SAC a finalement été dissout par une ordonnance du Conseil des Ministres, le 3 août 1982, à la suite de la "tuerie d'Auriol", dans laquelle l'un des responsables de l'organisation, l'inspecteur Massié, sa femme, ses enfants et d'autres membres de sa famille ont été sauvagement massacrés par un commando du SAC. Certains, lors de la période de flottement du S.A.C, voulurent récupérer cette organisation qui a toujours existé de façon autonome par rapport aux différents partis gaullistes. Charles Pasqua est l'un d'eux. Le plus célèbre de nos ministres de l'intérieur créa à cette occasion "Solidarité et défense des libertés" qui rassemblait des membres du R.P.R, de l'U.D.F, des anciens du S.A.C et même de certains mouvements très à droite comme le P.F.N. Ce descendant du S.A.C n'a finalement pas eu une existence très importante.

Jacques Foccart.

En juillet 1981, la tuerie d'Auriol (meurtre de l'inspecteur MASSIE et massacre de sa famille) fait ressurgir sous les feux de l'actualité un sigle qui avait connu son heure de gloire durant les années 1960-1970, celui du Service d'Action Civique (SAC). Ce mouvement est issu en 1958 du Service d'ordre du Rassemblement du Peuple français, lointain ancêtre du RPR. Le SAC se veut alors une sorte de garde prétorienne, exclusivement rattachée à la personne du Général De GAULLE, en dehors de tout parti politique. Il bénéficie ainsi d'une sorte de label officiel qui lui permettra d'avoir grandes et petites entrées dans l'appareil d'État ainsi que de la complicité active et passive d'une partie de la hiérarchie policière. Cette proximité du pouvoir expliquant également l'attrait que le SAC va provoquer chez des truands en mal d'impunité. Mais les événements de mai 1968 vont faire vaciller le pouvoir, l'onde de choc finissant même par déboulonner le Général de GAULLE en 1969. Dès lors, le SAC va se transformer.

Il deviendra tout d'abord un prestataire de services auprès du mouvement gaulliste (UDR puis RPR), et d'un certain patronat de choc (Peugeot, Citroen ). Combattant par tous les moyens les partis et organisations de gauche, revendiquant hautement un anticommunisme viscéral et primaire, ne cachant pas son goût pour l'ordre, le SAC va alors intégrer tout naturellement des militants d'extrême droite avant de soutenir certaines de ses initiatives (notamment celles du Parti des Forces Nouvelles). Ayant pressenti la victoire de la gauche en 1981, le SAC s'était préparé à jouer un rôle de fer de lance de la nouvelle opposition.

Mais la tuerie d'Auriol, puis la constitution d'une commission d'enquête sur ses activités et enfin sa dissolution en août 1982 briseront son élan. Mais le SAC n'est pas mort pour autant. Tout a été préparé un peu avant cette période pour que soient installées de nouvelles structures à mettre à la disposition de ses anciens et nouveaux militants pour continuer sous des formes renouvelées le combat contre la gauche en particulier et la subversion en général. Certains de ses initiateurs, adhérents et sympathisants se retrouveront même aujourd'hui dans les couloirs du nouveau pouvoir, dans des ministères, à l'Assemblée nationale.

 

LA FIN DU SERVICE D'ACTION CIVIQUE

Dès le début 1981, Pierre DEBIZET, le secrétaire général du SAC, envisage la victoire de Mitterrand à la présidentielle, ainsi que ses conséquences. Il décide donc de mettre à l'abri le fichier du SAC pour éviter qu'il ne tombe aux mains des "socialos-marxistes". Mais il n'aura pas le temps d'envisager la suite car il est interpellé puis incarcéré dans le cadre de la tuerie d'Auriol, tandis que plusieurs autres dirigeants de l'organisation sont interpellés, stoppant par là même toute tentative de réorganisation du SAC. Sa culpabilité n'ayant pu être prouvée, DEBIZET, après quelques semaines de prison, est libéré en septembre 1981 et se remet au travail. C'est ainsi que, dans une interview au Journal du Dimanche il annonce "Avec mes hommes, avec mon organisation transformée, modernisée, nous nous mettons à la disposition de la nouvelle opposition, surtout celle qui sert le plus les idées gaullistes". Au niveau interne dans une lettre envoyée aux responsables départementaux du SAC, datée du 21 octobre 1981, il écrit :

"D'ici quelques semaines lorsque nous verrons plus clair je vous communiquerai les projets auxquels nous réfléchissons en ce moment tendant à faire du SAC une organisation mieux adaptée et donc plus efficace pour répondre à la situation politique actuelle".

Le SAC vit alors une période de flottement entre la perspective d'une interdiction et la réorganisation nécessaire à sa survie. Mais le sort du SAC n'intéresse pas que ses militants, certains au sein du RPR sont tentés de le récupérer à leur profit, celui-ci ayant toujours fonctionné comme une organisation autonome vis-à-vis du mouvement gaulliste. C'est le cas de Charles PASQUA, bien évidemment, qui ferait ainsi d'une pierre deux coups en réglant certains comptes avec DEBIZET. En effet, en 1969 PASQUA avait démissionné du SAC suite à la nomination de DEBIZET à la tête de celui-ci.

C'est ainsi qu'en compagnie de Paul d'ORNANO, il lance un mouvement intitulé 'Solidarité et Défense des Libertés' qu'il définit comme "un centre de rassemblement ferme et résolu" ouvert à tous ceux "qui refusent le socialisme et veulent agir". Il y a là en vitrine Alain JUPPE, Jacques TOUBON, Yvon BOURGES et Jacques MEDECIN pour le RPR, Alice Saunier SEITE et Jacques DOMINATI pour l'UDF. On y remarque aussi la présence de François BACHELOT qui deviendra en 1986, député du Front national et Pierre LAGAILLARDE ancien député d'Alger et héraut de l'Algérie française. Côté encadrement on retrouve Gérard ECORCHEVILLE un ancien d'Ordre Nouveau et du Parti des Forces Nouvelles que PASQUA à récupéré dans son équipe, avec son beau-frère Alain ROBERT. Sur le terrain ce mouvement réactive de vielles amitiés. À Marseille par exemple c'est en février 1982 qu'est créée une section de Solidarité et défense des libertés. PASQUA viendra en personnes inaugurer les locaux. Le président est Paul GAILLET, ancien secrétaire fédéral du SAC, le vice-président est Jean ROUSSEL, futur député du Front national en 1986, le secrétaire est Joseph NICOLAI ancien commandant principal de la police de Marseille et membre du SAC. On trouve comme membres :

- Gilbert CHABILLAT, ancien responsable du SAC de 1970 à 1975 (date de son exclusion) et qui s'est reconverti depuis dans le Devillierisme,

- Humbert GIACONELLI, un ancien policier membre du SAC,
- Henri NEURMOND, un autre ancien policier, membre lui aussi du SAC,
- Me Henri RUGGIERI, membre lui du RPR et du SAC.

On trouve aussi et surtout Gérard KAPPE responsable du SAC marseillais de 1967 à 1969, connu pour avoir préparé à Marseille en mai 1968, "l'opération stade" consistant à l'arrestation et au regroupement de diverses personnalités et syndicalistes de gauche dans des stades de foot, préfigurant ainsi ceux du Chili de 1973. Viré du SAC en 1969, il créait une fédération sud-est du SAC, mouvement dissident du SAC national. À la même époque d'autres SAC dissidents se constitueront à l'instigation de Charles PASQUA qui venait d'en démissionner.

Sur le terrain, 'Solidarité et Défense des Libertés' ressemble beaucoup à un SAC bis. Ce qui explique le peu d'empressement du RPR et de l'UDF à soutenir cette initiative de PASQUA. 'Solidarité et Défense des Libertés' sera bien éphémère, sa seule manifestation officielle aura lieu en mai 1982 à la suite de l'attentat de la rue MARBOEUF. La manifestation tournera très vite à la manifestation anti-MITTERRAND d'autant qu'on y remarquera de nombreux militants du Parti des Forces Nouvelles et du Centre National des Indépendants et Paysans. Peu après, Solidarité et défense des libertés se dissoudra, marquant par là même l'échec de la tentative de récupération du SAC par PASQUA.

Entre temps le SAC avait réagi : c'est ainsi que le 16 décembre 1981 ont été déposés les statuts d'une nouvelle association intitulée "Mouvement Initiative et Liberté"(MIL).

Cette association a pour objet de "défendre et de promouvoir une organisation de la société française fondée sur l'initiative personnelle des citoyens. Elle est inspirée par les valeurs civiques, culturelles, morales et spirituelles de la civilisation française, de façon à réaliser les conditions de développement de la véritable liberté". Elle "affirme son attachement actif aux libertés essentielles parmi lesquelles la liberté d'entreprise, moteur du progrès économique et social et facteur d'épanouissement humain, la liberté effective de l'enseignement, condition du respect des consciences et des croyances". Elle a pour président Jacques ROUGEOT, comme secrétaire général Bernard FURTH et comme trésorier Jean Louis GOURSALAS, et enfin elle est alors domiciliée 8, rue de Musset dans le XVIe arrondissement de Paris. Le nom du président et l'adresse seront certainement familiers aux étudiants, en effet, puisque correspondant à ceux de l'UNI (l'Union Nationale Interuniversitaire) dont Jacques ROUGEOT, professeur de lettres, est le président national.

L'UNI a été créée à l'initiative du SAC après les événements de mai 1968 pour "regrouper tous ceux qui entendent soustraire l'Éducation Nationale à l'emprise communiste et gauchiste, et défendre la liberté en luttant contre toutes les formes de subversion". Depuis cette époque l'UNI est toujours demeurée étroitement associée au SAC. La parenté idéologique et l'interpénétration des deux organisations conduisirent au fil des années l'UNI et le SAC à de nombreuses actions communes. Le SAC n'a de cesse d'apporter en effet à l'UNI un soutien actif aux opérations dont elle avait décidé le lancement. La double appartenance des membres de l'UNI au SAC facilitait un tel état de choses.

Logique retour des choses donc de voir l'UNI apporter à son tour son soutien à la nouvelle version du SAC en lui fournissant sa logistique : adresse, responsable, matériel.

INSTALLATION DU MIL DANS LES LOCAUX DE L'UNI

Tout comme le SAC "première manière" : (1958 à 1969), le « MIL » met un point d'honneur à être le garant de l'héritage gaulliste. On y trouve par exemple le gendre du Général de GAULLE, le général Alain de BOISSIEU, mais se détache une figure : Jacques FOCCART. Cet ancien résistant est appelé en 1958 au poste de conseiller technique à Matignon chargé des affaires africaines. C'est ainsi que pendant près de 35 ans il va tisser des réseaux d'influence avec de nombreux chefs d'état africain, mêlant affaires, espionnage et politique. Très proche de De GAULLE, il est considéré par beaucoup de gaullistes comme la voix du Général. C'est dire l'influence qu'il a exercée et exerce encore. Membre honoraire du SAC, il en est même pour beaucoup (comme PASQUA) le père spirituel voire l'inspirateur. C'est lui qui rappellera par exemple Pierre DEBIZET à la tête du SAC en 1969, ce qui entraînera le départ de certains de ses dirigeants, tels PASQUA. Il restera toujours très actif et influent puisqu'il continuera sa carrière sous POMPIDOU jusqu'en 1974. Lui succédera sous Giscard un de ses élèves, dont il guidera les pas à travers les marigots de la politique africaine de la France. Politique qui a toujours consisté en la pratique d'un clientélisme à la petite semaine aux bénéfices de pouvoirs autoritaires peu regardant sur les moyens de garder le pouvoir. Une politique qui n'a guère évolué sous MITTERRAND, ce dernier renforçant le caractère personnel et réservé de ce domaine de la politique étrangère. Il en confiera la direction à son fils Jean-Christophe, surnommé dans les palais africains "Papa m'a dit". À son retour comme Premier ministre en 1986, CHIRAC appellera à ses côtés Jacques FOCCART comme conseiller personnel pour l'Afrique ! Si aujourd'hui en tant que président, il a nommé Michel DUPUCH au 2 de la rue de l'Élysée, l'adresse de la cellule africaine de la présidence, il n'a pas oublié FOCCART qui a hérité du 14 rue de l'Élysée. FOCCART ne reste pas loin du pouvoir. D'autant plus que c'est un de ses anciens protégés qui a été nommé ministre de la coopération en la personne de Jacques GODFRAIN qui, extraordinaire coïncidence, fut membre du SAC de 1968 jusqu'en 1978, y occupant les fonctions de trésorier.

Autre coïncidence, FOCCART n'est pas tout seul au 14 rue de l'Élysée, il y est secondé par Fernand WIBAUX, qui fut ambassadeur au Tchad durant plusieurs années et un très proche conseiller diplomatique de CHIRAC de 1986 à 1988. Son nom sera même évoqué comme possible chef de la DGSE en 1987 suite à l'affaire Greenpeace. Un WIBAUX que l'on retrouve au comité d'honneur en compagnie d'autres gaullistes historiques comme Roger GALLEY ancien ministre de De GAULLE en 1968 ou encore Pierre MESMER, Premier ministre de POMPIDOU. Du côté héritage de la Résistance citons les deux noms : Pierre CLOSTERMAN, ancien pilote de l'escadrille franco-russe Normandie NIEMEN. Son attachement aux valeurs du gaullisme ne l'a pas empêché de donner une interview au journal d'extrême droite 'Le Choc Du Mois' dans lequel il disait tout le bien qu'il pensait de Jean-Marie Le PEN. Autre figure : Michel CARAGE un ancien de la France libre.

Au début de l'année 1981, le SAC participe directement à la création d'un comité de soutien à un certain commandant Pierre BERTOLINI. Cet illustre inconnu était accessoirement commandant des pompiers de la protection civile en Corse mais surtout connu pour être le principal dirigeant de l'organisation anti-indépendantiste Francia (Front Nouvelle Contre l'Indépendance et l'Autonomie). À l'actif de cette organisation, plusieurs attentats commis contre des biens appartenant à des militants nationalistes corses. Début janvier 1981, BERTOLINI et certains de ses militants sont interceptés par des autonomistes à Bastelica alors qu'ils préparaient une nouvelle action. À cette occasion on découvre sur BERTOLINI et un de ses complices une carte de membre du SAC. Inculpé pour différents attentats, BERTOLINI sera traduit devant la justice et condamné. Le SAC ne l'oubliera pas et lui crééra un comité de soutien, invitant ses membres à adhérer et à le soutenir financièrement. À la tête de ce comité on trouvait alors Michel CARAGE.

L'IDÉOLOGIE DU MIL

Là aussi on retrouve beaucoup d'analogies avec le défunt SAC : le « MIL » se veut aussi à part, il n'est pas un parti politique, partis dont il se méfie, ceux-ci étant "tributaires d'intérêts particuliers, d'échéances électorales, tentés par des compromissions ou des louvoiements de circonstance". Il entend faire sentir son poids dans la vie nationale en s'efforçant d'infléchir dans le sens des principes qu'il défend les décisions prises aux divers échelons. C'est ainsi que "s'il ne lui appartient évidemment pas de formuler un code moral à usage individuel et privé… il lui incombe de dire clairement à quelles valeurs civiques il se réfère". Tout d'abord dans la primauté de la personne « entre le principe personnel et le principe collectiviste il existe une incompatibilité de nature ». Il faut donc choisir. Tout système qui se présente comme le mélange des deux, par exemple, sur le modèle social-démocrate aboutit finalement à imposer en douceur la primauté du collectif. « Autres valeurs défendues par le « M.I.L » : la libre entreprise et l'initiative personnelle ». La famille ("elle est globalement une nécessité absolue") et la Nation. Mais attention "la société française est menacée par des dangers variés, parfois subtils qui visent à détruire les valeurs civiques sur lesquelles elle repose" ! Le premier de ces dangers est la perte d'identité. Pour le MIL "il ne fait pas de doute que l'immigration sous sa forme actuelle constitue une menace mortelle pour l'identité nationale parce qu'elle présente des caractéristiques nouvelles et dangereuses. Les immigrés sont beaucoup trop nombreux : au point de vue numérique le seuil de tolérance est déjà nettement dépassé". "Elle crée toutes les conditions d'affrontements violents qui ne marqueraient pas de transformer des réactions de défense naturelle en réactions qui cette fois seraient effectivement racistes".

Face à ce danger le « MIL » préconise de "prendre des mesures sévères contre l'immigration clandestine mais aussi de limiter de façon beaucoup plus rigoureuse les conditions d'accueil". Autre menace cette fois extérieure "l'Europe fédérale et supranationale" qui mettrait en danger la souveraineté nationale. La France serait aussi l'objet d'une tentative de dissolution à l'échelle mondiale : "cette tentative procède d'une conception d'ensemble selon laquelle pour assurer le bien de l'humanité et garantir la paix perpétuelle et la prospérité économique il faut que le Monde soit dirigé en fait de façon fort occulte, par une sorte de gouvernement des sages. Au service de cette conception mondialiste sont mis des moyens d'action d'une ampleur impressionnante. Quelques organisations dont la plus connue est la Trilatérale des entreprises multinationales" pour qui "une France forte, autonome et rayonnante est particulièrement gênante, donc particulièrement visée".

 

LES MENACES

Bien évidemment le « MIL » a pris en compte le déclin politique de son ennemi le plus ancien, le communisme. Un résultat "qui est pour lui une victoire à laquelle nous avons contribué en participant très vigoureusement au combat". Toutefois, on remarque que "ses courroies de transmissions traditionnelles" ont beaucoup mieux préservé leur puissance : "la CGT demeure la première force syndicale, elle possède encore une capacité de mobilisation non négligeable et dispose même d'une force physique toujours redoutable. Elle conserve des leviers d'action dans des secteurs névralgiques de l'économie française ; énergie (EDF), transport (SNCF) etc." À cet ennemi traditionnel sont venus s'ajouter :

- "L'écologisme utilisé sous sa forme naïve ou sectaire, comme une entrave à l'esprit d'initiative et au développement de certaines idées".
- "L'antiracisme qui prétend faire appel aux bons sentiments (et qui) exploite pour devenir un instrument de désagrégation qui aboutit à détruire la nation".
- "Le tiers-mondisme mélange confus et pervers de sentimentalisme et de politique mondialiste…
Il vise à culpabiliser l'Occident et les pays développés présentés comme des exploiteurs cyniques des pays pauvres. En France la mauvaise conscience qui en résulte et qui est systématiquement cultivée, empêche de regarder en face les dangers de l'immigration et de prendre des mesures nécessaires pour les combattre".

Enfin, plus insidieux encore : "On voit se développer depuis longtemps une entreprise systématique de prise en main (par la gauche) des structures de toutes sortes, que ce soit dans le domaine de l'enseignement et des médias, mais aussi de la justice, de la police, des entreprises, des églises etc.". "Ainsi une organisation comme le syndicat de la magistrature qui a profité du pouvoir de la gauche pour mettre la main sur l'appareil judiciaire ne se cache pas de promouvoir une justice inspirée de considérations idéologiques et politiques rendant la société responsable de la plupart des crimes et délits, il prône l'indulgence à leur sujet et se propose à l'inverse, d'alourdir la répression contre la délinquance en col blanc. C'est bien un nouveau droit, une nouvelle morale sociale que ces juges rouges ou roses veulent faire valoir". Voilà des considérations qui ont dû aller droit au cœur de Robert PANDRAUD membre d'honneur du MIL, mis en examen dans une affaire de fausses factures destinées au financement du RPR.

 

Heureusement, face à L' Anti-France se dresse le « MIL ». Ni parti politique, ni syndicat, ni club de pensée. Le « MIL » se veut un mouvement de réflexion et d'action, mais attention une action qui se détermine par rapport aux principes cités plus haut, "principes (qui) servent surtout de boussole pour indiquer le sens de l'action qui sans cela risquerait de dégénérer en activisme". On a tiré les leçons du SAC.


Politiquement le « MIL » s'est "résolument situé à droite et s'emploie à favoriser l'union des partis de droite". Cela consisterait à reprendre et répandre des mots d'ordre ou des campagnes du Front national comme par exemple : La France, « aimez-la, ou quittez- la ». Sur le terrain, le MIL est organisé en trois types de structures :

1. Territoriale : région, département, ville.
2. Militante : collage, tractage etc.
3. Socio-professionnel : entreprises, profession, grands corps…

Quant au recrutement, il est très encadré. En effet le « MIL » ne vise pas à être une organisation de masse mais une organisation qui cherche à recruter des gens sûrs. C'est ainsi que, pour adhérer, il faut être parrainé. Puis, les adhérents se divisent en deux : ceux qui veulent adhérer pour les idées et ceux qui veulent être plus actifs. À ces derniers on propose un questionnaire plus complet, sur le type d'activité souhaité, sur leur engagement actuel, leur passé politique. Bref, un questionnaire qui rappelle furieusement celui du défunt SAC, là encore…

 

LA SAGA DU SAC

Par Michel Labro

La commission d'enquête parlementaire a remis son rapport sur le Service d'Action Civique. Michel Labro raconte une aventure ensanglantée par la tuerie d'Auriol, et qui avait commencé en 1960...


Le Service d'action civique. Le Sac! Combien de fois l'aura t-on lu dans les journaux, ce sigle de trois lettres, sec et mystérieux, à l'occasion d'une de ces trop fameuses "affaires" qui ont marqué la vie de la Ve République. Combien de fois sera-t-on resté sur sa faim lorsque, la raison d'Etat se mêlant a des motifs moins avouables, on ne parvenait pas, à son sujet, à faire la part de la réalité et celle de la légende.


Il aura fallu toute l'horreur de l'affaire d'Auriol - l'histoire d'un inspecteur de police marseillais, ancien responsable départemental de cette organisation, assassiné, l'été dernier, avec toute sa famille, par ses propres compagnons d'armes - il aura surtout fallu que le pouvoir change en France pour qu'on s'efforce, enfin, de faire la lumière. Ironie du sort, c'est le 17 juin - la veille du jour anniversaire de l'Appel du général de Gaulle - que la Commission d'enquête parlementaire sur les activités du Sac, créée il y a six mois, remettra son rapport entre les mains du président de l'Assemblée nationale. Un rapport qui, avant d'être rendu public, est controversé. Comme si l'on s'attendait, dès maintenant, qu'il fera resurgir bien des affaires épineuses liées à la chronique de ces dernières années.


Cette saga du Sac, elle commence officiellement le 4 janvier 1960, lorsque l'acte de naissance de l'association est enregistré par la préfecture de Paris. Mais il faut remonter aux lendemains de la Libération pour comprendre l'origine de cette garde prétorienne du gaullisme. En 1947, le fondateur de la France libre crée le R.p.f . (Rassemblement du peuple français). A l'époque, les empoignades sont parfois violentes avec les communistes. Les partisans du Général se dotent d'un puissant service d'ordre qui recrute ses gros bras parmi les anciens de la Résistance. Au siège de la rue Taitbout, dans le IXe arrondissement de Paris, un des responsables de ce S.o . est reconnaissable à sa taille imposante et à ses sourcils broussailleux. On sait qu'il est entré dans la Résistance à 19 ans, après l'invasion allemande, avant de faire partie des réseaux de renseignement de la France libre, à Londres. Cet homme, que ses compagnons continuent à appeler de son nom de guerre, " Debarge ", parfois encore "le Colonel" ou - plus familièrement - "Gros Sourcils", c'est Pierre Debizet. Au S.o . du R.p.f., il a retrouvé d'autres gaullistes de la première heure, comme Jacques Foccart, qui deviendra, plus tard, chargé des Affaires africaines et malgaches à l'Elysée, ou Christian Fouchet, futur ministre du général de Gaulle. Ces solidarités continueront bien au-delà de la disparition du R.p.f .


Ainsi, en 1953, à la mort de Staline, on voit Debizet et quelques anciens du S.o . monter une garde symbolique devant le tombeau du Soldat inconnu. «Nous voulions protester, explique-t-il aujourd'hui, contre l'attitude du gouvernement français, qui avait fait mettre les drapeaux des édifices publics en berne pour honorer la mémoire du dictateur soviétique.»


En 1958, lorsque de Gaulle revient aux affaires, ces anciens combattants du gaullisme sont là, prêts, s'il le faut, à le défendre les armes à la main. Ensemble, ils vont constituer le Sac ; c'est Debizet qui en prendra la tête. C'est lui qui a suggéré que cette association ait une existence indépendante du parti gaulliste (l'U.n.r ). «Pourquoi adhérez-vous à ce moment-là au Sac et pas à l'U.n.r.?» demandera la commission d'enquête parlementaire à un des militants de l'époque. Réponse: «Parce que le Sac, c'était le Bon Dieu sans les curés.» On ne saurait mieux dire que, pour ces hommes, le Sac, c'était de Gaulle, et de Gaulle tout seul, sans l'intermédiaire des partis et de la "politique". On les verra donc escorter partout le Général, coller des affiches à son image, faire applaudir les foules à son nom et ferrailler contre ses adversaires. Cette période va prendre fin avec le changement de politique du Général dans l'affaire algérienne. De sentiments "Algérie française", Debizet démissionne. Le soir des événements de la rue d'Isly - le 26 mars 1962, une unité de tirailleurs, affolée, ouvre le feu sur la foule; il y a 46 morts et 200 blessés - le fondateur du Sac demandera même à sa femme de jeter toutes ses cravates. Il n'en conservera que deux, toutes les deux noires. Et ne portera plus jamais de cravate que de cette couleur, en signe de deuil de l'Algérie française.


C'est le chef des "gorilles" du Général, Paul Comiti, qui est alors choisi pour lui succéder à la présidence du Sac. Mais le virage de la politique gaullienne multiplie les départs. Aujourd'hui encore, lorsqu'on affirme que le Sac a participé, aux côtés des fameuses barbouzes, à la lutte contre l'O.a.s., Debizet hausse les épaules: «Vous savez, dit-il, beaucoup étaient, comme moi, favorables à l'Algérie française.» Le rôle du Sac sera, à cette période, bien moins important qu'on ne le dira par la suite. En revanche, les défections auxquelles doit faire face le "service" vont avoir des conséquences redoutables pour la suite des événements. On entre alors dans une période troublée, difficile. Les responsables du mouvement se montrent moins sourcilleux sur la qualité du recrutement. Aux militants d'hier, vieux grognards du gaullisme, se mêlent de nouveaux venus peu regardants sur les méthodes. Ceux-là sont attirés, avant tout, par la fameuse petite carte tricolore de l'organisation, dont ils se servent pour intimider la police. Commence la longue série des "bavures", des "affaires" à l'occasion desquelles apparaît le nom du Sac. La plus retentissante étant l'enlèvement du leader de l'opposition marocaine, Mehdi ben Bark , le 29 octobre 1965, en plein Paris. Une affaire où les hommes du Sac, d'ailleurs, ne prennent sans doute qu'une part relativement modeste. Mais les incidents sont tellement fréquents qu'à l'Elysée on commence à s'impatienter.


Les événements de Mai 68 vont donner au Service d'action civique l'occasion d'entamer une troisième page de son histoire. «C'est en mai 1968 que j'ai adhéré au Sac, explique un artisan de la Côte d'Azur. Jusque-là, je militais à l' U.n.r . Le Sac, je savais juste que c'était le truc à de Gaulle. Lors de la première réunion à laquelle j'ai assisté, à Saint-Raphael , un type était descendu de Paris. Il nous a expliqué que c'était vraiment la bagarre avec les gauchistes et que le Général avait besoin de nous. C'est comme ça qu'on a démantelé un piquet de grève dans une entreprise de Grasse, par exemple. Mais le grand jour, c'est celui où on est tous montés à Paris, le 30 mai, à l'appel du Général. Il paraît que certains ministres avaient déjà quitté leur ministère et que des gens de chez nous ont dû les ramener à coups de pied dans les fesses...»


L'ancien patron du Sac, Pierre Debizet, est présent lui aussi dans la foule qui remonte ce jour-là les Champs-Elysées, il achève sa traversée du désert, après deux années passées en Afrique, où les amitiés nouées autrefois dans les alentours du pouvoir lui ont permis d'obtenir un poste au titre de la coopération, d'abord au Tchad, puis au Gabon. De retour à Paris, cet homme d'ordre, viscéralement anticommuniste, a le sentiment d'être un Martien. «La chienlit, dit-il, le Général avait trouvé le mot juste pour qualifier tout cela.» Aussi ne se fait-il pas trop prier lorsqu'on lui demande de reprendre du service.


Meurtre d'un caïd lyonnais. Il va pourtant se trouver confronté à une mission délicate : celle d'assainir le Sac de ses éléments douteux, de tous ceux qui ont gonflé les rangs de l'association au moment de l'Algérie ou de Mai 68. Pour cela, il remplace la fameuse carte tricolore par une simple carte de plastique, style carte de crédit, et réclame aux nouveaux adhérents un extrait de casier judiciaire. Précautions sans doute insuffisantes puisque, au cours des dix dernières années, on recensera plus de 200 membres du Sac cités dans des rapports de police concernant des trafics d'armes, de drogue, d'alcool, de faux papiers. Dans plus d'un grand scandale, du meurtre d'un caïd lyonnais à celui d'un gréviste à Rennes, d'une officine de trafic d'influence aux raids anti-autonomistes en Corse, on retrouve de nouveau la marque du Sac. A chaque fois que son organisation se trouve ainsi impliquée, Debizet proteste et réclame une mise au point.


Tout cela dure jusqu'à l'été dernier, où éclate l'affaire d'Auriol, dans laquelle lui-même est inculpé de complicité de meurtre. Tous ceux qui le connaissent - ou qui ont connu Debarge dans la Résistance - se récrient alors : pas lui et pas ça. Ce combattant n'est pas homme à se rendre complice de l'assassinat d'un enfant et de sa famille. Et rien dans l'état actuel de l'instruction ne permet de soutenir le contraire. Mais les tueurs marseillais ont enclenché, sans le vouloir, une redoutable mécanique. Les regards se tournent désormais vers le Sac, avec d'autant plus d'acuité que celui-ci ne bénéficie plus de ses protecteurs naturels. Et en dépit de ses états de service, Debizet, le baroudeur des ombres noires du gaullisme, doit aujourd'hui rendre compte.


Comme un boxeur sonné avant le gong final, il ironise sur les Fouquier-Tinville de cette commission d'enquête, constituée, rappelle-t-il, à la demande du Parti communiste, l'ennemi de toujours. Il proteste contre les "fuites" qui ont porté sur la place publique ce qui n'aurait pas dû sortir du secret des débats. L'homme est toujours aussi impressionnant, avec sa haute taille, ses sourcils qui enténèbrent son visage, son faux air d'Anthony Quinn. Et si l'on sent chez lui quelque lassitude, il se reprend bien vite pour défendre son organisation, «injustement poursuivie [selon lui] pour un fait divers crapuleux où le Sac, en tant que tel, n'est pas impliqué».


Il a pourtant du mal à convaincre, Debizet , lorsqu'il voudrait faire croire que le Sac n'a jamais fait qu'assurer de banals services d'ordre et que les liens qu'on lui prête avec le pouvoir d'hier sont monstrueusement exagérés. Les documents, les témoignages sur lesquels a travaillé la commission sont là pour prouver le contraire. Témoins ces messages des Renseignements généraux demandant à leurs correspondants de province d'apporter leur aide à une éminence grise du Sac de passage dans leur ville. " C'est vrai, reconnaît aujourd'hui un responsable des R.g., il y avait des échanges d'informations entre la police et le Sac. Officiellement, ce dernier nous avait demandé de l'aider à identifier les brebis galeuses qui se trouvaient dans ses rangs. En échange, il nous renseignait sur les gauchistes. Mais, si j'avais voulu fourrer mon nez dans ses activités, on m'aurait dit: «Occupe-toi de tes fesses»". Et que dire de cette lettre du futur président Georges Pompidou assurant le Sac de sa confiance, peu avant de se porter publiquement candidat à la succession du général de Gaulle... Pompidou qui, par la suite, sera un des premiers à réclamer l'épuration du Service d'action civique !


Les temps, aujourd'hui, ont changé. Au R.p.r . - l'héritier de la famille gaulliste - on continue d'assurer que le Sac n'est qu'un "service d'ordre comme beaucoup d'autres", mais les liens se sont distendus. Dans certaines régions, des militants à l'idéologie incertaine ont proposé leurs services à d'autres formations de l'opposition. Au point qu'on s'est demandé si le Sac ne préparait pas sa reconversion, s'il n'allait pas devenir une sorte d'officine de gros bras prête à louer ses services aux plus offrants. Il est bien difficile, aujourd'hui, de savoir où il en est exactement. Il compterait, à en croire Debizet , pas loin de 10 000 militants. Mais celui-ci a soustrait aux investigations de la police le fichier de l'organisation. Non pas, comme on l'a dit, après l'affaire d'Auriol, mais quinze jours avant la dernière élection présidentielle, comme il le faisait d'ailleurs - par précaution - avant chaque échéance électorale. Depuis un an, il a cessé de délivrer des cartes ou d'envoyer à ses militants son bulletin, "L'Action civique". Le Sac, aujourd'hui, attend. «Tant que les choses se déroulent à peu près normalement dans le pays, explique un de ses responsables régionaux, nous n'avons pas à intervenir. Mais si la situation s'aggrave, comme semblent le montrer certaines grèves récentes, chez Talbot ou chez Citroën, ou si l'on condamne notre "patron", nous sortirons de l'ombre.»


« Au moins, on sait où ils sont.»

Le rapport de la commission parlementaire remis au président de l'Assemblée nationale le 17 juin ne réclame pas la dissolution du Sac. Cette question n'était pas de son ressort. Tel est bien, cependant, le souhait des parlementaires de la majorité. «Dissoudre le Sac ne changera pas le cours de l'Histoire, explique le socialiste Pierre Bourguignon, mais cela mettra au moins un terme à une aventure dont personne ne pourra plus se réclamer positivement.»


Le procédé n'est pourtant pas sans risques. Lorsque, en mai 1968, la Sorbonne était occupée par les gauchistes, le préfet de police de l'époque n'était pas favorable à son évacuation. «Au moins, expliquait-il à un de Gaulle agacé, tant qu'ils sont à la Sorbonne, on sait où ils sont.» Ce préfet de police, c'était Maurice Grimaud, aujourd'hui directeur de cabinet du ministre de l'Intérieur. Bref, même si l'opinion publique est friande de symboles et d'exorcisme, la dissolution du Sac pourrait avoir, aujourd'hui, un résultat paradoxal : celui de le faire renaître de ses cendres. Il faudrait alors ajouter une nouvelle page à la saga de cette phalange du gaullisme trop souvent reconvertie dans des combats douteux.

 

Le RPF et le Service d'Action Civique, ou la “tradition démocratique” du mouvement gaulliste.

Chirac et ses acolytes n'hésitent pas à se réclamer de la “tradition gaulliste” pour se distinguer de la menace “autoritaire” du Front National. Cependant, il faut dire que les agissements et les objectifs qui ont caractérisé le mouvement gaulliste au cours de son histoire ne sont pas assez connus de nos jours. L'organisation animée par de Gaulle au lendemain de la deuxième guerre mondiale n'avait rien à envier aux desseins ultra-réactionnaires de l'actuel Front National, pas plus que le Service d'Action Civique (SAC), créé par de Gaulle dès son arrivée au pouvoir, en 1958.

Le SAC était une organisation paramilitaire spécialisée dans l'assassinat, le chantage, la corruption, le trafic d'armes et de drogue, le blanchiment d'argent “sale”, bref, la criminalité sous toutes ses formes, et par ailleurs dévouée corps et âme au Général de Gaulle. Son existence remonte au lendemain du coup d'État de 1958 et de la Cinquième République. Cependant, les réseaux qui en formaient le noyau existaient dès la fin de la deuxième guerre mondiale dans le cadre du “Service d'Ordre” du RPF, le parti gaulliste de l'époque. Partisan d'un régime fort, “au dessus des partis”, puisque fondé essentiellement sur l'appareil répressif de l'armée et de la police, de Gaulle avait mis en place, sous la couverture légale du RPF, une organisation paramilitaire de quelque 16 000 hommes recrutés dans les milieux criminels - ainsi en était-il du proxénète Jules Orsini - et dans les réseaux de l'extrême-droite et des anciens collaborateurs de l'occupation hitlérienne, comme Simon Sabiani et Gérard Gerekens. Sous l'occupation, ce dernier dirigeait à l'intérieur du PPF, le parti fasciste de Jacques Doriot, les groupes de choc spécialisés dans la chasse aux Juifs, aux communistes, aux socialistes et aux syndicalistes. Un tel curriculum vitæ était parfaitement adapté aux finalités du RPF.

Cependant, dans les conditions de l'après-guerre, l'établissement d'un régime autoritaire était impossible. Contrairement à ce que prétendent les gaullistes, la capitale n'a pas été libérée par la 2e Division Blindée, mais par une insurrection de la jeunesse et des travailleurs. L'horreur indicible de la guerre et de l'Occupation avait complètement discrédité le capitalisme et le fascisme. Ce discrédit touchait avant tout le patronat et l'État français, qui avaient largement collaboré avec l'occupant nazi. Par contre, le PCF jouissait d'un immense prestige, et comptait plus de 800 000 adhérents, cependant que la CGT voyait ses effectifs augmenter massivement. Les élections de 1945 ont été marquées par une très forte progression des partis de gauche, et notamment du Parti Communiste. Malheureusement, les dirigeants du PCF et de la SFIO (l'ancienne dénomination du PS) sont entrés dans un gouvernement de coalition avec la droite. C'est ce même gouvernement qui a ordonné les massacres et les bombardements des populations de Madagascar et d'Indochine, ainsi que la répression sanglante en Algérie. L'appareil du PCF s'est opposé aux mouvements de grève, sous prétexte de vouloir préserver “l'union nationale”. Finalement, en 1947, jugeant que, avec le déclin du danger révolutionnaire, la collaboration du PCF n'était plus nécessaire, Ramadier a éjecté les ministres communistes.

Dès le mois de janvier 1946, de Gaulle, marginalisé, a quitté le pouvoir. Il espère alors que la situation va prochainement se retourner en sa faveur, et se présente comme le “recours” du capitalisme français face au mouvement ouvrier. En 1947, il crée le RPF. Pour se faire une idée des objectifs politiques de ce parti, ce petit extrait d'une de ses brochures de formation interne, intitulée 'La lutte pour le pouvoir', devrait suffire : “Nous voulons considérer que le PCF, danger national, doit être détruit. Nous voulons l'éclatement de son appareil, de ses moyens et, le cas échéant, de ses chefs”. La brochure en question a été rédigée par un certain Jean Dides, membre du RPF depuis 1947, et qui, pendant l'Occupation, était le principal collaborateur du directeur des Renseignements Généraux, un dénommé Rotee, fusillé pour collaboration à la Libération.

Le financement de ce “recours” putschiste provient d'un nombre important de grandes entreprises françaises et étrangères : Rhône-Poulenc, Esso-Standard, le Crédit Lyonnais, Simca, Dassault, pour n'en citer que quelques unes. Jacques Foccart et d'autres acolytes du général ont mis en place une constellation de sociétés d'import-export, telles que la Safiex, dont la fonction est de fournir une couverture “commerciale” à l'activité des agents de renseignement gaullistes, d'alimenter les caisses noires de l'organisation et de financer les campagnes électorales des candidats gaullistes. Le Service d'Ordre du RPF est particulièrement actif à Marseille, pendant et après les élections municipales de 1947, où le RPF obtient environ 40% des voix : les réunions publiques organisées par le PCF ou la SFIO sont dispersées à coups de matraque, et plusieurs personnes sont assassinées, des dizaines blessées.

Cependant, à ce moment-là, le mouvement ouvrier est beaucoup trop puissant pour que les desseins gaullistes aient une chance sérieuse de se réaliser ; d'autre part, les capitalistes s'éloignent de l'option d'un “État fort”. A quoi bon, pensent-ils, dans le contexte d'une reprise économique, soutenir un aventurier putschiste, qui pourrait plonger la France dans une guerre civile dont l'issue serait plus qu'incertaine ? Dès 1950, les effectifs et les soutiens financiers du général commencent à s'amenuiser, et ceci malgré le score relativement important réalisé par le RPF aux législatives de 1951. En 1953, de Gaulle annonce la “mise en sommeil” du RPF.

Les réseaux du général de Gaulle ont été les principaux instigateurs du coup d'État manqué qui s'est produit le 13 mai 1958. Ce jour là, à Alger, un Comité de Salut Public est mis en place, sous la présidence du Général Massu. Lui et le général Raoul Salan, qui commande alors l'armée en Algérie, en appellent à la prise du pouvoir en France par de Gaulle, avec lequel ils sont en étroite liaison. Quelques jours plus tard, le 24 mai, des parachutistes français occupent la Corse et menacent de débarquer en France métropolitaine. À partir de Rambouillet, des chars s'apprêtent à se diriger vers la capitale. À Marseille, une équipe d'hommes armés sous l'autorité de Charles Pasqua passe plusieurs jours dans les sous-sols de la place Félix-Baret, dans l'attente d'un “feu vert” pour la prise d'assaut de la Préfecture. Le général Massu, interviewé à l'époque par le journal britannique Evening Standard, exposait ainsi les objectifs du coup d'État gaulliste : “L'armée française a essuyé une série de défaites depuis 20 ans, et ce sont les politiciens qui en sont responsables, puisqu'ils n'ont pas laissé les mains libres aux généraux”. Les auteurs du coup voyaient dans le régime parlementaire, et dans les droits démocratiques dont jouissait le mouvement ouvrier, un obstacle à la poursuite de leurs objectifs réactionnaires.

La tentative de coup d'État s'est soldée par un échec. Massu et Salan ont dû se raviser, expliquant d'un air embarrassé qu'ils avaient été contraints d'en appeler au renversement du gouvernement par la force des circonstances à Alger. Devant l'échec du putsch militaire, de Gaulle s'est dissocié de Massu et Salan. Il s'est prononcé pour la poursuite de la guerre d'Algérie afin de rallier les colons d'Alger. L'échec du coup d'État, le délitement irréparable de la Quatrième République, ainsi que la passivité de la direction du PCF, ont créé un vide politique. Le “sauveur” de Gaulle en a profité pour prendre le pouvoir.

Le Service d'Action Civique, sous la direction de Jacques Foccart, Charles Pasqua, Roger Frey, Paul Comiti, Alexandre Sanguinetti, Dominique Ponchardier et Jean Bozzi, est mis en place peu après l'arrivée au pouvoir du Général de Gaulle. L'inscription au verso de la carte d'adhérent déclare que le titulaire “s'engage sur l'honneur à apporter inconditionnellement son soutien à la poursuite des objectifs définis par le général de Gaulle.” Le SAC est reconnu “association à but non lucratif”, mais sous cette appellation innocente se cache une bien plus sinistre machine.

A peine constitué, le SAC se lance dans une campagne d'infiltration et d'assassinat contre le FLN. Pour ses “sales coups”, Pasqua et les chefs du SAC recrutent dans les prisons, notamment parmi les truands incarcérés pour des attaques à main armée. Comme à l'époque du RPF, les gaullistes travaillent à travers de nombreuses entreprises (la Barracuda, la Frimotex etc.), qui, tout en ayant une existence légale, sont entre les mains de membres ou d'anciens membres des services secrets et s'engagent dans un trafic d'armes particulièrement lucratif - de chars, de mitrailleuses, de munitions et d'explosifs - en direction de l'Afrique Noire, des pays du Maghreb et du Moyen-Orient. Dans toutes les basses œuvres de la France en Afrique - coups d'État, assassinats, corruption, détournement de fonds, élimination d'opposants - les hommes du SAC sont de la partie, autour de Jacques Foccart, surnommé le “Monsieur Afrique” du camp gaulliste.

En France métropolitaine, le SAC mène des opérations contre les forces de gauche, et en particulier contre la CGT, le PCF et l'UNEF. Il s'agit d'agressions, de menaces de mort et d'autres procédés d'intimidation, ainsi que de la constitution de fichiers de renseignement sur les militants. Un fascicule de formation interne du SAC, rédigé en 1964, et cité dans le livre d'un ancien membre du SAC, B comme Barbouzes, préconise “une offensive permanente, une action constante, suivie, intelligente” contre la CGT, visant à “l'éclatement de cette centrale syndicale”. Le document conclut : “Ce n'est pas la réduction de l'influence de la CGT que nous visons mais son élimination pure et simple.”

En 1968, le SAC a reçu une dotation importante d'armes (de fabrication américaine, afin de brouiller les pistes) qui provenait des stocks de la Légion Etrangère. Pendant la puissante grève générale de cette année-là, de Gaulle projetait une grande rafle des délégués syndicaux, des militants communistes et d'extrême gauche, qui devaient ensuite être enfermés dans des stades, à la manière des rafles de 1942 ou encore de l'opération menée à bien, cinq ans plus tard, et avec les conséquences sanglantes que nous connaissons, par le général Pinochet au Chili.

Le 25 février 1974, quelques mois après le coup chilien, le quotidien Libération a publié un document daté du 24 mai 1968 faisant état du modus operandi de ce coup de force à Marseille. Le document comportait une liste, fournie par la DST, de noms et d'adresses de militants marseillais “à regrouper” dans le Stade de l'Huveaune et dans le Stade Vélodrome “sur ordre de Paris”. Commentant l'affaire en mars 1974, le Nouvel Observateur a déclaré que les preuves présentées “confirment que, en mai 1968, des dispositions avaient été prises par les polices officielles et parallèles pour s'emparer de certaines personnes, dans le cas où la situation aurait évolué dans un sens défavorable pour le pouvoir. À la fin de la semaine dernière, aucun service n'avait contesté l'authenticité de ce document.”

D'après les journalistes qui ont pu examiner les listes, “l'opération stades” concernait au moins 41 villes et prévoyait une première vague d'internements de 52 400 personnes, soit connues pour leurs activités politiques ou syndicales, soit simplement abonnées à des revues “mal pensantes”. L'opération a été annulée à la dernière minute, par la crainte parfaitement justifiée qu'au lendemain de la grande rafle, la découverte des agissements nocturnes du régime, loin d'affaiblir la grève générale, la transforme en insurrection.

Le SAC a finalement été dissout par une ordonnance du Conseil des Ministres, le 3 août 1982, à la suite de la “tuerie d'Auriol”, dans laquelle l'un des responsables de l'organisation, l'inspecteur Massié , sa femme, ses enfants et d'autres membres de sa famille ont été sauvagement massacrés par un commando du SAC. À partir de 1984, l'organisation a été remplacée par une nouvelle structure paramilitaire, à laquelle furent confiées certaines activités inavouables de l'État français à l'étranger, et notamment en Afrique. C'est là une autre histoire, qui appartient à l'héritage de François Mitterrand plutôt qu'à celui du général de Gaulle.

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