Le monde selon Bachar el-Assad

Ziya Meral

Dimanche 27 novembre 2011

 

Décidément la presse turque st une lecture fort intéressante. Le journal Zaman (encore lui), proche de l'AKP, le parti qui est au pouvoir en ce moment en Turquie, nous offre un texte d'un universitaire Turc, Ziya Meral, sur la situation en Syrie, qui nous en propose une analyse essentiellement régionale..

 

Selon cette analyse,   seule une intervention militaire étrangère pourrait déboulonner le régime en place à Damas. Et comme je le disais dans un autre post, cette action militaire devrait être massive parce que le potentiel militaire syrien, sans être en mesure de faire échouer une agression conduite par des armées modernes, a néanmoins une capacité de riposte hors de proportion avec celle de la la Libye de Mouammar Kadhafi ou même de l'Irak de Saddam Hussein.

 

Zaman (Turquie) 24 novembre 2011 traduit de l'anglais par Djazaïri

 

Ces dernières semaines, j'ai pu entendre un certain nombre de personnes qui ont visité récemment la Syrie et rencontré et parlé avec Bachar el-Assad en personne.

 

Avec des aperçus récents de ce genre sur sa façon de voir et avec ce que nous avons pu constater dans ses dernières déclarations publiques, nous sommes en mesure de reconstruire la façon dont il se représente ce qui se passe autour de lui.

 

  Il est évident que Assad reste confiant et ne voit pas son régime disparaître.

 

Premièrement, il considère que la Maison Blanche se moque des citoyens Américains en faisant des déclarations publiques sur le gel de ses avoirs et ceux de sa famille aux Etats Unis, mais sans exercer de réelles pressions sur la Syrie. Assad relève qu'il ne possède absolument rien aux Etats Unis et que le président Barack Obama le sait aussi. Il pense que les Etats Unis ne sont pas désireux de déstabiliser son régime et sont dépendants d'autres pays comme la Turquie.

 

Deuxièmement, il pense qu'Israël veut qu'il reste aux affaires et ne soutiendra jamais une action puissante contre lui, et encore moins une action qui pourrait conduire à une Syrie morcelée dirigée par des islamistes.

 

Troisièmement, Assad pense que la pression exercée sur lui par la Turquie est limitée et que la fermeté des réactions du gouvernement du Parti de la Justice et du développement (AKP) est destinée à l'opinion. Il ne pense pas que la Turquie soit en capacité de faire autre chose pour l'instant. Il est persuadé que les forces armées turques tiennent encore l'essentiel du pouvoir dans le pays et qu'elles ne permettront jamais à des «islamistes» de conduire la Turquie vers une guerre. Etant donné que le rapprochement syro-turc avait commencé par les relations militaires, Assad conserve une image positive de l'armée turque. Il croit qu'elle a suffisamment de travail avec les Kurdes pour se dispenser de créer une pression indirecte sur la Turquie.

 

Quatrièmement, Assad entretient une méfiance profonde à l'égard des puissant pays arabes de la région. Il considère que l'Egypte n'est pas un véritable Etat du Moyen Orient, mais un pays d'Afrique du Nord. Selon lui, l'Egypte ne fait que s'agiter mais n'a aucun pouvoir ou influence réels dans la région. Il voit les pays du Golfe comme des bandits. Il est convaincu que tous ces pays en plein essor, comme les Emirats Arabes Unis, le Qatar et même l'Arabie Saoudite sont voués à l'effondrement et à l'échec quand l'argent du pétrole fera défaut parce que ce ne sont pas de «vraies» nations. Il voit l'Arabie Saoudite comme étant une grave menace par son financement ininterrompu d'organisations extrémistes. Il pense que le Qatar est trop ambitieux mais est dépourvu d'une quelconque substance. Conséquemment, le petit royaume de Jordanie est une marionnette des Etats Unis.

 

Les Etats Unis, l'Union Européenne et les pays arabes ne sont pas dignes de confiance

 

La brouille entre la majorité des pays arabes et la Syrie pendant la guerre Irak-Iran, et le resserrement des relations irano-syriennes qui s'en est suivi continuent à modeler la réflexion d'Assad. Il sait que les pays arabes et les Etats unis veulent qu'il se rapproche de leur bloc et s'éloigne de l'Iran, mais il trouve que ces propositions de partenariat ne sont pas dignes de confiance. Ses garanties de survie, l'Iran et l'influence sur le Liban semblent être fortes et bien ancrées. C'est pourquoi les menaces de la Ligue Arabe ne l'impressionnent pas.

 

Au-delà de ce que nous voyons dans les media internationaux et de nos anticipations émotionnelles d'une autre révolution du printemps arabe, Assad a encore un niveau de soutien important dans son pays. La crainte ce voir des organisations sunnites extrémistes non seulement dominer le pays, mais imposer l'islam aux masses est commune, même parmi les Musulmans sunnites conservateurs. sans parler des Alaouites ou des libéraux. La communauté chrétienne substantielle du pays est obsédée nuit et jour par une possible Syrie post-Assad. Ce dernier admet désormais publiquement que des erreurs ont été commises à l'égard des Kurdes. Ils semblent prêt à garantir aux kurdes une citoyenneté qui leur était jusque là refusée afin qu'ils en viennent à se considérer comme Syriens.

 

Son discours politique sous-jacent continue à parler d'un idéal panarabe, pas d'un nationalisme syrien. Il parle de puissance et d'unité arabes, et pourtant ce qu'il entend par là reste indéfinissable. Exactement comme son père, il essaye d'évoquer le nationalisme arabe   à travers tout le monde arabe mais ne parvient pas à le concrétiser. Il est parfaitement conscient que la portée de ce discours sur l'unité arabe se limite au Liban et à la Syrie et qu'il parle en réalité de puissance et d'influence de la Syrie, sous la conduite de sa famille. Cependant, son inquiétude première et les signaux d'alerte sur une prise de contrôle de la Syrie pas des islamistes font écho à une partie significative de ses concitoyens et des Arabes d'autres pays ainsi qu'à des regards inquiets en Amérique et en Europe. Il a donc encore un argument gagnant sur la base de ces craintes pour légitimer sa brutale répression contre les «rebelles.»

 

Assad n'a pas tort sur certains aspects de sa lecture de son environnement. Il a une connaissance magistrale des peurs de la majorité des Syriens , qui en majorité veulent la fin des troubles pour pouvoir reprendre une vie normale et se sentir à nouveau en sécurité. Le « soulèvement » en Syrie ne semble pas avoir atteint la masse critique nécessaire pour renverser le régime Assad et ses forces armées et ses services secrets restent loyaux et sont intacts.

 

Les dynamiques régionales maintiennent encore un soutien à la Syrie, tout comme les animosités avec lesquelles la Syrie a appris à vivre et à naviguer ces vingt dernières années. L'opposition syrienne est désordonnée et n'est pas en position de défier le pouvoir et de le supplanter dans un futur proche. En fait, certaines de manifestations et des attaques menées par l'opposition ne rencontrent pas un large soutien

 

En d'autres termes, il n'y a pas de changement majeur à l'horizon, du moins pas encore.

 

Ziya Meral est un chercheur et universitaire (Turc) établi à Londres.