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mardi 21 juillet 2015

Lowell Goddard, la Néo-Zélandaise chargée d'enquêter sur la pourriture de l'élite anglaise.

Eric Albert

Juge néo-zélandaise d'origine maorie, Lowell Goddard est chargée d'enquêter sur un réseau pédophile au sein de l'élite anglaise, y compris au parlement

Il a fallu aller la chercher à l'autre bout du monde. Une éminente juge de Nouvelle-Zélande, qui plus est d'origine maorie, pour s'attaquer à l'un des milieux les plus solidaires et fermés au monde: l'élite anglaise. Avant elle, la ministre de l'Intérieur britannique, Theresa May, avait en vain cherché un ou une juge britannique pour prendre la charge de ce dossier pourri et explosif à la fois. Par deux fois, elle avait nommé quelqu'un. Par deux fois, ce fut un échec.

C'est donc à Lowell Goddard que va revenir cette tâche impossible. La première juge de la haute cour de Nouvelle-Zélande d'origine maorie, âgée de 66 ans, préside désormais l'enquête publique indépendante sur les abus sexuels sur les enfants au Royaume-Uni. Elle va devoir enqu êter sur un grand réseau de pédophiles qui sévissait à Westminster. Le très digne parlement était le centre d'un vaste complot d'hommes qui ont violé et agressé des jeunes garçons dans les années 1970 et 1980. Les faits restent nébuleux, mais les accusations visent des députés, des ministres, des avocats, des juges, des militaires, des membres des services secrets…

Les faits sont tellement graves qu'il semble extraordinaire qu'ils n'aient pas été connus plus tôt. Mais il a fallu que le député Tom Watson utilise son immunité parlementaire en octobre 2012 pour oser publiquement évoquer les faits à la Chambre des communes. Dans la foulée, la police a ouvert une enquête. Rapidement, ce qui n'était qu'une vague rumeur qui fleurait la théorie du complot est devenu très sérieux. Les témoignages se sont multipliés. Au moins trois maisons ont été mises au jour, où se déroulaient les viols en groupe: une «guest-house» dans le sud de Londres, un centre pour orphelins, et des appartements de luxe près de Westminster , que louaient nombre de députés.

L'enquête de police continue. Mais face à la gravité des faits, sous la pression des anciennes victimes, la ministre de l'intérieur, Thesera May, a ouvert une enquête publique. Objectif: comprendre comment l'affaire a ainsi pu être étouffée toutes ces années et quel a été le rôle des institutions britanniques.

Lowell Goddard a indiscutablement un profil idéal pour s'attaquer à un tel dossier. Après son diplôme de droit à l'Université d'Auckland en 1974, elle se fait rapidement remarquer pour ses plaidoiries. Contrairement à nombre de ses collègues, elle n'affiche pas un cynisme sans fin face aux agissements des bas-fonds de l'humanité. Pour elle, le droit n'est pas une simple technique à utiliser à bon escient pour aider ses clients. Il est le fondement d'une société civilisée. «Vous ne pouvez exceller que si vous avez de la passion, mais une passion tempérée par la rationalité et l'objectivité», affirmait-elle en 2008 en recevant un prix des anciens étudiants de l'Université d'Auckland.

C'est sur cette base que Lowell Goddard a participé à la création d'une clinique utilisée par la police néo-zélandaise pour recevoir les victimes de violences sexuelles et de viol. Symbole de son engagement humaniste, Lowell Goddard a aussi participé à des groupes sur la délinquance dans les minorités ethniques, fait partie d'une association qui aide à la réhabilitation de drogués et d'une autre qui aide les enfants en difficulté.

Pas question pourtant de l'imaginer comme une larmoyante défenseure de la veuve et de l'orphelin. Air autoritaire, lunettes sur le bout du nez, cheveux blonds (teints?) et accent «kiwi» légèrement traînant, Lowell Goddard ne craint pas non plus de s'attaquer à l'autorité.

En 2007, elle a été nommée à la présidence de l'autorité de plaintes contre la police, première femme de Nouvelle-Zélande à occuper ce rôle. C'est à ce titre qu'elle a publié un rapport accablant sur la façon dont les forces de l'ordre s'occupaient des cas d'enfants maltraités. L'enquête montrait que la police n'en faisait pas une priorité et traitait souvent ces dossiers à la va-vite, les laissant s'empoussiérer. Peu de personnel leur était dédié, et dans au moins un commissariat, les amendes à la circulation étaient traitées avec plus d'alacrité.

Si les qualités de Lowell Goddard ne sont pas en doute, pourquoi donc aller jusqu'en Nouvelle-Zélande pour trouver une présidente capable de présider l'enquête publique britannique? La réponse est extrêmement révélatrice de la société anglaise et de l'étroitesse des liens au sein de son élite.

Initialement, en juillet 2014, la baronne Elizabeth Butler-Sloss avait été nommée. Très respectée, elle avait été la première femme à diriger la Cour d'appel britannique. Mais les victimes ont immédiatement protesté: son frère, Michael Havers, était le principal conseiller juridique du gouvernement dans les années 1980. A ce titre, c'est lui qui avait renoncé à poursuivre en 1983 le numéro 2 des services secrets, impliqué dans le réseau pédophile. Elizabeth Butler-Sloss aurait donc dû se pencher sur les agissements de son frère (aujourd'hui décédé): le conflit d'intérêts était évident.

A sa place, Fiona Woolf a été choisie. Avocate d'affaires de renom, siégeant dans de nombreuses enceintes prestigieuses, elle semblait un choix idéal. Mais rapidement, il s'est avéré qu'elle connaissait bien Lord Leon Brittan. Cet ancien ministre de l'Intérieur était au pouvoir à la même époque, en 1983. Et depuis son décès en janvier, il est accusé lui aussi d'avoir violé plusieurs enfants.

Aucune des deux présidentes de l'enquête publique n'est soupçonnée d'avoir eu connaissance de ces faits. Mais leur proximité avec l'élite rendait leur travail impossible.

Arrivé début février à Londres, Lowell Goddard a donc devant elle une tâche aussi délicate qu'explosive. A peine descendue de l'avion, elle a rencontré un premier groupe de «survivants» du réseau de pédophiles, avant d'être reçue au Ministère de l'intérieur et de passer devant un comité parlementaire. Elle qui n'a jamais habité au Royaume-Uni va avoir le temps de s'y accoutumer. L'enquête dont elle a la charge devrait durer au moins quatre ans, sans doute plus.

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