greek crisis

Le blog de Panagiotis Grigoriou.

L'article 458A et le sang.

samedi 2 novembre 2013

Carnet de notes d'un ethnologue en Grèce
Une analyse sociale journalière de la crise grecque


Sous le régime de la Troïka les jours se suivent et elles ressemblent fort à des nuits. Manolis Kapelonis 22 ans et Yorgos Foundoulis 26 ans sont les deux membres de l'Aube dorée assassinés ce soir à Néo Héraklion, quartier situé au nord d'Athènes. Des inconnus (au matin du 2 novembre) ont alors ouvert le feu devant les locaux du parti néonazi abattant de plein sang froid le deux jeunes. Un autre blessé est hospitalisé dans un état très critique. D'après les premiers reportages, les assassins auraient même porté le coup de grâce en vidant leurs chargeurs sur les victimes. Le vent athénien est fort mauvais en ce moment.

Athènes, 2013


Les membres de l'Aube dorée rencontrés sur place par les journalistes ont alors promis “ une vengeance impitoyable car le cercle du sang a été inauguré ce soir ”, et pour ce qui reste de l'esprit libre dans ce pays (fort heureusement il en reste suffisamment après trois ans de guerre économique, sociale et psychologique initiée par la Troïka, faisant de notre pays... un simulateur de camp de concentration de type II car grandeur nature), on admettra sans même hésiter un seul instant que ce n'est pas en assassinant les néonazis que la démocratie triomphera.

D'ailleurs c'est plutôt le contraire, déjà et ne l'oublions pas, le premier danger qui menace la démocratie en Grèce n'est pas celui de l'Aube dorée mais la politique de la Troïka ainsi que la méta-démocratie... réellement appliquée par nos dirigeants lesquels après le double assassinat du 1er novembre (avec ou sans revendication de cet acte) tenteront à réactiver leur sinistre “théorie des deux extrêmes”.

L'Aube dorée, authentiquement néonazie devient autant ce piège commode pour certains et fort dangereux pour tout un peuple à la mémoire assez longue... allant jusqu'à la guerre civile. Comme par hasard, et comme au même moment où certains néonazis et aubedoriens avaient assassiné Pavlos Fyssas, le pseudo-gouvernement d'Athènes faisait face à une vague de protestation populaire dans les rues, autant qu'à une attitude abominable d'une Troïka intraitable. On sait pourtant ne plus s'y tromper. Dans son édition électronique datée du 2 novembre c'est par la force d'un dessin que notre hebdomadaire satirique et politique “To Pontiki” souligne ainsi l'évidence: “ En Grèce, toutes les balles sont fabriquées par la Troïka ”.  

En Grèce toutes les balles sont fabriquées par la Troïka


On sait aussi comment le chaos peut être orchestré ou attisé dans certains pays pour ensuite “légitimer” ces opération de maintient de l'ordre (parfois... plus nouveau que jamais) qui de fait, ne feront que pérenniser les catastrophes humanitaires et surtout la mainmise sur de vastes territoires. Et la Grèce, s'apparente déjà à un territoire administré depuis l'étranger, telle est du moins l'opinion la mieux partagée par l'immense majorité des Grecs en ce moment.

Au soir du 1er novembre les photos des victimes “relevées” depuis leurs profils à travers les réseaux dits “sociaux” de manière abusive et trompeuse, circulent aisément sur internet. Et ce blog, humaniste si possible contre vents et marées, et déjà si rodé en nécrologies ne fera pas l'impasse sur celle du moment, même si les victimes seraient bien familiers des idées incarnées et pratiquées par l'assassin de Pavlos Fyssas.

Sur ces photos, on y voit alors un Yorgos Foundoulis habitué des salles de musculation et “membre du personnel d'accueil” dans une boîte de nuit du quartier, d'après son profil facebook. J'ai remarqué après recherche que cette boîte de nuit incarne alors convenablement le pire “lifestyle” de la dernière décennie, propagé comme de la poudre... aux yeux de toute une population ainsi acculturée. Ce fut déjà une catastrophe inaugurale et ainsi culturellement et socialement “constituante”, préparant celle de la Troïka, de la fin du travail et de la démocratie, et de ce fait... du grand appareillage de l'Aube dorée dans les eaux saumâtres de la “gouvernance” hors Constitution.  

Le profil de Yorgos Foundoulis  


Le mobilier de l'appartement de Yorgos Foundoulis prouve alors ses origines sociales modestes, comme on dit parfois pour designer ceux qui n'habitent pas forcement du côté des banques. C'est alors ainsi que cette guerre contre la société passe autant par une certaine guerre entre pauvres et pauvres d'esprit, c'est aussi connu. Voilà donc pour ces derniers instantanés de leurs existences numériques ainsi exposés avant l'oubli ou sinon l'usage de cette mémoire, c'est selon. Entre-temps, des graffitis - “lieux de mémoire” de l'ère de l'après Pavlos Fyssas font leur apparition un peu partout dans l'agglomération d'Athènes. D'ailleurs, nous ignorons encore à présent leur véritable portée sur le moyen ou plus long terme.  

En mémoire de Pavlos Fyssas. Athènes, novembre 2013


Car sur le terrain social la guerre fait toujours rage. Notre voisin Christos, chômeur et souffrant en ce moment mobilise ses bons amis ainsi que toutes ses forces restantes pour enfin trouver un médecin solidaire, et qui puisse le prendre en charge gratuitement. Au soir du 1er novembre il apparaissait bien accablé, tel un être décomposé ; et il n'a pas dit un seul mot à propos des événements du jour.

En Grèce, rappelons-le, trois millions de personnes se retrouvent désormais sans aucune couverture sociale, dont le voisin Christos. Le mémorandum, c'est alors la continuation de la guerre par une... autre économie et encore, par un régime politique autoritaire décidément inédit. C'est ainsi préoccupé par sa survie que Christos ne remarque plus grand-chose des derniers épisodes de notre saga méta-démocratique, ou sinon, il ne veut plus en parler.

Pourtant et depuis quelques jours, une mutation supplémentaire “tombée d'en haut” accentue désormais notre mutation dramatique dans l'hétéronomie politique à l'échelle de la dite construction européenne, voire... planétaire. C'est durant la dernière semaine d'octobre 2013, que d'après les reportages en cours, le “parlement” grec a adopté une loi, plus précisément il s'agit d'un amendement qui ajoute au code pénal grec l'article 458A (les décrets n'ont pas été publiés pour l'instant).

D'après ses dispositions: “ Quiconque qui, de manière intentionnelle viole les sanctions ou les mesures restrictives instituées à l'encontre des États ou des entités ou des organismes ou des personnes physiques ou morales, par les décisions du Conseil de sécurité des Nations Unies ou par celles des réglementations de l'UE, ceci est passible d'emprisonnement d'au moins six mois, la peine maximale étant deux ans d'emprisonnement, sauf si, une autre disposition prévoit une peine plus lourde. Les dispositions de l'alinéa précédent s'appliquent de même, que lorsque ces actes ne sont pas répréhensibles en vertu des lois du pays où ces faits sont perpétrés ”.  

Devant les journaux. Athènes, le 30 octobre 2013.


Peu de journaux, peu de médias et alors si peu de journalistes ont remarqué cette nouvelle législation, d'abord en Grèce, et évidemment autant ailleurs. Mais il y a des exceptions car chez nous, certains masques sont déjà tombés et que de ce fait, nous devenons enfin si bien attentifs à tout. Dans sa tribune publiée dans le quotidien de centre-gauche “Elefterotypia” daté du 29 octobre 2013, sous le titre “Totalitarisme Européen”,   Yannis Triandis note alors ceci: “ Qui aurait pensé que l'Europe irait jusqu'à criminaliser les protestations, les objections, la dissidence et l'opposition à certaines de ses décisions ? Et pourtant c'est fait. Il a été révélé récemment qu'une telle législation vient d'être introduite et même adoptée par parlement grec, incorporant ainsi au droit pénal du pays, une Directive et autant un ordre de l'Union Européenne... Et qui aurait pu imaginer en plus que Syriza, le grand parti de l'opposition ainsi confronté à cette terrible empreinte du totalitarisme en cours, aurait réagi par une légèreté et en même temps par une indifférence alors ahurissantes, se limitant à la contre-argumentation dans le cadre du contrôle parlementaire, au lieu et place d'une grande campagne publique, pour ainsi dénoncer ce défi fasciste ?

En langage clair et pour mieux illustrer la nouvelle situation on peut considérer cet exemple: supposons que cette disposition aurait été appliquée lors de l'intervention armée des bandits internationaux en Serbie de 1999. Alors toutes les personnes (par exemple, les joueurs des équipes de football qui avaient à l'époque manifesté leur solidarité en organisant des rencontres avec les équipes de Belgrade), seraient ainsi confrontés au contrôle pénal pour finir en prison. ”  

Cette terre a été libérée par EAM-ELAS ”. Affiche des jeunesses communistes rappelant la résistance. Athènes, octobre 2013


Le ministre de la Justice affirme que la directive européenne est obligatoire pour ainsi justifier l'introduction de cette loi, et il a ainsi essayé de dissiper les impressions très négatives et le malaise générés, en assurant qu'il ne s'agit pas de persécuter les opinions, ni les protestations ou la liberté d'expression. Toutefois, le texte de cette loi est clair. Car cette évidence de la compatibilité d'une telle loi avec les règles en vigueur dans une société libre ne s'exprime nulle part. En explicitant par exemple que cette disposition ne concerne que le comportement des États, (et) en agissant par exemple en violation d'un embargo alors imposé à un pays tiers par l'Union européenne. Au contraire, cette ambiguïté délibérée pourtant si bien claire... peut être lue et interprétée de manière à criminaliser les opinions, la protestation ou l'opposition.

Car cette triste Europe connait un mauvais précédent. L'opinion et ses expressions (quant aux événements historiques) sont et depuis longtemps criminalisées. Ainsi, certains écrivains ont été emprisonnés et leurs livres ont été interdits (loi Gayssot en France). Et puisque certains pays ne se sont pas jusqu'à présent alignés sur cette logique Hitlérienne (sic), l'Union européenne exerce sur eux, une pression alors insupportable, afin qu'ils introduisent dans leur législation de telles dispositions, prenant prétexte de la lutte institutionnalisée contre le racisme et contre la... menace fasciste ! ”. On peut certes ne pas être d'accord avec Yannis Triandis sur les “modalités” de la guerre de 1999 contre la Serbie, ou encore approuver en partie ses arguments, comme on peut parfois émettre des arguments en faveur de la loi Gayssot en France. Sauf que pour ce qui est de l'essentiel me semble-t-il, la criminalisation potentielle et désormais (très) possible des opinions contraires aux décisions de l'UE ou du Conseil de Sécurité de l'ONU constituent un pas... remarquable vers la déchéance planifiée (et autant... culturellement désormais admissible) des régimes politiques en Occident, appelés parfois jadis “Démocraties bourgeoises” (avant l'euro) !  

L'économiste Alberto Bagnai.“Comment sortir de l'euro”. Colloque à Pescara, octobre 2013


C'est en ce sens décidément que le mémorandum a pour tout dire parfaitement rempli son rôle: abolir toute législation antérieure liée au travail et à ses droits, abolir le travail lui-même, instaurer un régime politique basé sur la peur, sur les suicides ou les assassinats, sur les relations interpersonnelles “anthropophagiques” et pour finir, progressivement criminaliser toute opposition pratique et même idéologique. Je note encore que les décisions du Conseil de Sécurité de l'ONU (et non pas celles issues des séances plénières de l'ONU), résultent d'une certaine géopolitique des rapports de force et d'une géostratégie alors certaines, de même que le processus décisionnel en vigueur au sein de l'UE, très éloigné des principes démocratiques (pour ainsi l'exprimer... gentiment) !

C'est autant en encore en ce sens ici en Grèce (et bien au-delà) que nous tous (ou du moins certains “passéistes”), luttons pour notre survie matérielle et autant pour ainsi rétablir et régénérer un régime démocratique déjà conforme à l'esprit et à la lettre des textes constitutionnels encore en vigueur en Europe occidentale de l'après-guerre, car les apparences sont pour l'instant sauves.  

Imaginaire italien. Pescara, octobre 2013


De ce fait, nous sommes déjà considérés comme étant potentiellement des “extrémistes”, alors que l'extrémisme de la financiarisation des liens et des échanges érigé en régime sinon totalitaire, du moins autoritaire à bas voltage, ne fait guère de doute. Tout comme “notre” type anthropologique nouveau, issu de la misère de la pensée économique qui lui est si conforme et autant de la misère sociale érigée en vertu expiatoire par les élites européistes.

J'y ajouterais que lorsque “la terre brûle” ainsi sous le contrat social, la démocratie (déjà si problématique car structurellement incomplète) est déjà réduite en cendres... le sang en plus.  

* Photo de couverture: “Deux membres de l'Aube dorée assassinés”. “Quotidien des Rédacteurs” du 2 novembre  

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