greek crisis

Le blog de Panagiotis Grigoriou.

Carnet de notes d'un ethnologue en Grèce
Une analyse sociale journalière de la crise grecque

lundi 24 février 2014

Nouveau-Théâtre.


Place de la Constitution, on réaménage déjà les apparences en vue du printemps. Ou plutôt, en vue des élections municipales de mai prochain. “Nos élus” feraient donc tout et n'importe quoi, pour faire croire qu'il y a toujours une vie politique en ce pays, voire, une vie tout court. Près de la mairie à Athènes, la distribution de plus de 3.000 repas à base de viande grillée, a aussi connu un succès phénoménal. Nos plus pauvres parmi les nécessiteux, ont alors mangé et dansé durant une après-midi douce et ensoleillée. Belle vie, ou plutôt belle vue sur l'éphémère.

Près de la mairie. Athènes, le 20 février  


Car jeudi 20 février, c'était donc la “fête des grillades”, traditionnellement, il s'agit de griller de la viande par ce dernier jeudi annonçant le début du Carême (dans onze jours), le Grand Carême, celui associé bien entendu à la date de Pâques. L'opération fut organisée par la municipalité ainsi que par les bouchers des halles d'Athènes et de la rue d'Athéna.  

Athènes, le 20 février  


Tout cela, en présence de la fanfare municipale, du carnaval, des chaînes de télé et de la pauvreté. Fragments humains de notre société démembrée et (autant) par la honte, que les observateurs, plus méticuleux ou pas, découvriront sans trop de peine. Certainement, les cameras présentes sur les lieux, ont alors troublé les “participants” ou plutôt, leur dignité (terminale). Tel est aussi ma préoccupation lorsqu'il est question de réaliser ou pas désormais, certaines photos destinées à ce blog. La paupérisation serait alors affaire (également) d'une tautologie bien fâcheuse.  

Près de la mairie. Athènes, le 20 février  

 

En attendant la distribution du repas. Athènes, le 20 février  


Ces images du centre-ville, au cœur même de notre nouvelle pauvreté sont à la fois celles d'un passé lointain renvoyant aux années 1940, celles du présent alors “tout neuf” mais surtout, et autant celles d'un futur généralisable comme on dit parfois, proche et vraisemblable.

En ce sens, toute sorte de dialecte politique du moment, peine même à meubler les apparences. Les Alexandrins que nous sommes à notre manière, comme dirait le poète Cavafy, “ se doutent certainement que tout cela n'est que théâtre. Mais la journée est chaude et poétique, le ciel d'un bleu éclatant ” (“Rois Alexandrins”, traduit par François Sommaripas ).

En tout cas, ces élections, municipales et européennes seront indiscutablement, les moins poétiques de toutes. Dans l'enchaînement de cette dépoétisation... je remarque que depuis un moment déjà, le cœur originel de SYRIZA bien à gauche, saigne sans arrêt. Certains quittent le parti ou partiront ailleurs dans pas longtemps, d'autres se taisent devant les métamorphoses... positivistes du parti de la Gauche radicale. Seulement, j'entends de plus en plus souvent ces (autres) électeurs de droite se disant prêts à voter désormais “à gauche”. Certainement que tout cela n'est que théâtre.  

Travaux, Place de la Constitution. Athènes, le 19 février


Manolis , mécanicien et garagiste à son compte, ne changera plus d'avis: “ Je vais voter Aube dorée, quoi qu'ils disent, quoi qu'ils fassent et quoi qu'il arrive. De même, ma femme est tout autant déterminée à sa manière, elle votera SYRIZA ”. Pour ces anciens suivistes de la Nouvelle démocratie il s'agit évidemment d'un point de non-retour.

La levée de l'immunité parlementaire des élus de l'Aube dorée, la dernière trouvaille d' Antonis Samaras quant à “la modernisation de la vie politique” qui consiste à réduire le nombre de députés de 300 à 250 mais en ressuscitant le Sénat (en Grèce de 1844 à 1864 et de 1927 à 1935) où siégeraient 50 sénateurs... nouveaux, d'après son projet (journal “ Kathimerini ” du 23 février), et enfin le dernier... réalisme d'Alexis Tsipras , toutes ces tournures théâtrales auront sans doute contribué (par attirance ou par répulsion), à concrétiser les choix de Manolis et de Dimitra , son épouse.  

Marchand de tissus. Athènes rue Éole, le 18 février


C'est vrai qu'Alexis Tsipras a souhaité préciser dimanche 23 février que, “ SYRIZA gouvernera en faisant appel à ses propres élus mais aussi, à certaines autres personnalités largement estimées et même si besoin est, à des technocrates dans certains postes ministériels ” (interview accordée au journal “To Vima ” du 23 février). On peut... comprendre.

Entre-temps, la Troïka, ces autres technocrates se trouvent de nouveau à Athènes pour mieux... peaufiner le mémorandum III, autrement-dit, nos prochaines “adaptations” au futur, en plus du Sénat probablement. Ainsi Manolis , le mécanicien comme par exemple ces (autres) petits commerçants de la rue Éole, ne changeront plus d'avis. Tout comme leurs épouses.  

Campagne pour les élections européennes. “Tuer la Troïka”. Athènes, février 2014

 

Saint Georges, 2014

 

Imagerie de Georges Papandréou exterminant la Grèce, 2011


Déguisé en saint Georges, Démosthène Vergis , leader assez folklorique des écologistes grecs, a enfourché son taureau pour terrasser les dragons de la Troïka car: “ Ils kidnappent notre Grèce ”. Notons que Vergis s'était déjà distingué par le passé en apparaissant nu sur ses affiches. L'imagerie religieuse et populaire avait déjà utilisé la symbolique de saint Georges s'agissant de Papandréou, mais en la renversant. Dans une... composition bien connue de l'Internet grec entre 2010 et 2011, le dragon terrassé par Papandréou sous la bénédiction d'Angela Merkel , n'est autre que la Grèce.

En tout cas, les symboles de nos rues deviennent souvent lugubres, pour ne pas dire macabres par les temps qui courent. Nous le savons parce que nous avons de yeux ouverts, parce que autour de chacun d'entre-nous, il y a un suicidé, un malade qui ne se soigne pas, un décès par manque de moyens à l'hôpital, en plus des chômeurs et de ceux qui ont émigré bien entendu.  

Athènes, février 2014

 

Presse de Thessalie, “Les assurés en suspens”, février 2014

 

Le dit hôpital à Korydalos , principale maison d'arrêt à Athènes. “To Pontiki ” du 23 février


Tandis que la presse nationale et locale à l'instar de La Thessalie, qui consacre sa Une au drame “Des assurés restés en suspens” et à celui du jeune suicidé de la ville Volos (18 ans), dans une conférence, organisée (le 19 février) par Médecins du monde à Athènes en présence d'Anna Maili (Grèce), Thierry Brigaud (France) et de Jochen Zenker (Allemagne), il a été précisé que 28% de la population du pays est désormais privée de tout accès au système de santé (ces gens ne sont plus assurés), ce même dit système de santé est en réalité inexistant.

Au même moment, d'autres reportages trahissent la situation cauchemardesque des dits “hôpitaux” derrière les murs des prisons grecques, désormais à l'abandon. La Grèce est un pays déjà transformé... de l'envers comme de l'endroit, et personne n'y échappe.  

Près d'Athènes, février 2014


Ainsi, je remarque que de nouveaux petits troupeaux de caprins font leur apparition près d'Athènes, tandis qu'en ville même, certains terrains restés vagues, sont désormais cultivés suite à leur transformation en jardinets urbains. Cela ne suffira guère certes à changer la situation, mais nous aurons quelques tomates déjà en mai... à défaut du vrai changement politique.

Sinon, notre ère... de la viande grillée connaîtrait immanquablement un succès phénoménal. Et nos nouveaux sénateurs auront donc une bonne raison de méditer.  



* Photo de couverture: Athènes, février 2014

 

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