Société Chomarat (Ardèche).

Silence : On Tue L' Ouvrier Français.

Vendredi 30 avril 2010. Fin de matinée. « Prends ton carton. Lundi tu es muté à Mariac . » Les paroles sont de Mr Hervé Leclerc, Directeur des Ressources Humaines chez Chomarat (Le Cheylard). En cinq minutes d'entretien, la vie de Francis Teluob, ouvrier chez Chomarat depuis de nombreuses années, a basculé. C'est la goutte qui fait déborder le vase. De restructurations en mutations, les ouvriers de cette entreprise fabricant de textiles, plastiques et fibres de verre, en ont vu de toutes les couleurs ces six dernières années. Huit cents emplois ont été délocalisés en Tunisie. Les ouvriers français ont subi des baisses de salaire de l'ordre de 400 à 500 euros par mois. Ce n'est pas beaucoup ? Si vous pensez comme ça, c'est que vous n'êtes pas ouvrier. Francis Teluob n'en peut plus de ces bouleversements et de la manière brutale dont ils interviennent. Il va voir l'infirmière de l'entreprise, Monique Saroul, tout de suite après l'entretien. Elle ne trouve pas son cas inquiétant. « Je passerai te voir lundi matin » dit-elle. Lundi matin, ce sera déjà trop tard.

Francis rentre chez lui, au Crestet, près de Lamastre, dans la maison qu'il avait achetée avec son épouse Patricia en 1998. Il pose son carton sur la table, puis il s'en va dans le garage. A 17 heures, sa femme, enseignante à Tournon, rentre du travail. Elle voit le carton, appelle son mari. Il ne répond pas. Elle se dirige vers le garage. Francis est là, pendu. Une première tentative, avec sa ceinture, avait échoué. Il avait donc pris une corde. Cette fois-ci, ça a marché. Francis Teluob, 40 ans, laisse derrière lui une fille de 16 ans et un fils de 9 ans. Il laisse aussi le souvenir d'un homme joyeux, excellent camarade de travail, bon père de famille, homme sérieux et travailleur. Ce n'est pas le premier suicide chez Chomarat. Déjà, il y a deux ans, à Tournon, un autre ouvrier avait mis fin à ses jours. La fille de Francis Teluob, âgée de 16 ans, a téléphoné chez Chomarat dès vendredi soir. « Je veux savoir pourquoi vous avez tué mon père ! » annonça-t-elle. Personne ne voulut lui parler.

Mardi 4 mai à Lamastre, l'assistance fut nombreuse pour les obsèques. Mais de la Direction de Chomarat, il n'y eut personne. Dans l'entreprise, on verrouille tout. La CFDT ne bouge pas. Pas un mot dans la presse. L'omerta des petits mafieux règne au Cheylard. Qu'est-ce qu'ils vont finir par nous raconter ? Que c'était un déséquilibré, Francis Teluob  ? Ils font pitié, chez Chomarat. Francis Teluob, c'était le bon ouvrier français dans sa plus simple – et plus noble – définition. C'était ce qu'il y a de plus normal, ici en Ardèche, comme ça l'est aux quatre coins de ce pauvre pays. Et c'est ça qu'on tue en France aujourd'hui. C'est tout un système qui a tué votre père, brave jeune fille. Et si on le laisse faire, il en tuera bien d'autres. Cette fois-ci, donc, et pour honorer la mémoire de ce beau et gentil jeune homme, on ne laissera pas faire. Chomarat, la honte de l'Ardèche. On va parler de vous, maintenant. Beaucoup.

                                                                                                          (A Suivre)