Affaire Canavero.
Pourvoi en cassation de John Hodgkinson.

Rapport du Conseiller rapporteur Olivier TALABARDON en date du 15 juillet 2015.

Sur le pourvoi régulièrement formé le 13 avril 2015 :

Aucun des moyens de cassation proposés par Mr Hodgkinson dans son mémoire personnel n'est de nature à permettre l'admission de ce pourvoi.

1°) Le premier moyen, pris de la violation des articles R.155 du code de procédure pénale et 6, § 1 à 3, de la Convention européenne des droits de l'homme, fait grief à l'arrêt d'avoir été rendu sans que le prévenu ait eu accès à l'entier dossier de la procédure avant l'audience du 26 février 2015 :

Pour être recevable, un tel moyen doit avoir été préalablement soumis aux juges du fond. A défaut, il est nouveau et mélangé de fait et, comme tel, irrecevable ( Crim ., 15 décembre 2010, pourvoi n°10-80.877, pourvoi n° 11-83.080)

Or, en l'espèce, il ne résulte, ni des conclusions déposées par M. Hodgkinson à l'audience de la cour d'appel du 26 février 2015, lesquelles n'invoquent que des exceptions de nullité prises de la méconnaissance des dispositions de la loi du 29 juillet 1981 sur la liberté de la presse, ni d'aucune mention de l'arrêt attaqué, auxquelles ne sauraient suppléer à cet égard les énonciations des notes d'audience ( Crim , 10 juin 1992, pourvoi n° 91-82.872. Bull. crim 1992, n°225), que la cour d'appel ait été valablement saisie d'un moyen, pris de ce que le prévenu n'aurait pas eu accès à l'entier dossier de la procédure, et mise en demeure d'y répondre.

Ce moyen, présenté pour la première fois devant le juge de cassation, est donc irrecevable.

2°) Les deuxième et quatrième moyens, pris de la violation des dispositions, respectivement, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et de l'article 434-24 du code pénal, qui incrimine l'outrage à magistrat, font grief à l'arrêt d'avoir déclaré M. Hodgkinson coupable de cette dernière infraction, alors que, d'une part, les faits, commis sur le site du parti radical de France, dont l'intéressé est le président, auraient dus (sic !) être poursuivis sous la qualification de diffamation envers un fonctionnaire public, d'autre part, le délit d'outrage à magistrat implique que les propos incriminés n'aient pas été tenus publiquement :

Ces moyens sont directement contraires à une jurisprudence ancienne et constante de la chambre criminelle, qui jugeait sous l'empire de l'article 222 de l'ancien code pénal et continue de juger sous l'empire de l'article 434-24 du nouveau code que :

•  « toute expression injurieuse ou diffamatoire, lorsqu'elle s'adresse à un magistrat de l'ordre administratif ou judiciaire dans l'exercice de ses fonctions ou à l'occasion de cet exercice est qualifiée d'outrage par l'article 222 du code pénal et rentre, même lorsqu'elle a été proférée publiquement, dans les prévisions de ce texte dont les articles 31 et 33 de la loi du 29 juillet 1881 n'ont pas modifié la portée ni affecté l'application. » :

•  Crim ., 13 février 1975, pourvoi n°74-91.435, Bull.crim .1975, n°54 ;

•  Crim ., 24 janvier 1991, pourvoi n°87-90.214;

•  Crim ., 17 juin 1991, pourvoi n°90-84.144.

•  « toute expression injurieuse ou diffamatoire, lorsqu'elle s'adresse à un magistrat de l'ordre administratif ou judiciaire dans l'exercice de ses fonctions ou à l'occasion de cet exercice est qualifiée d'outrage par l'article 434-24 du code pénal et, même lorsqu'elle a été proférée publiquement, dans les prévisions de ce texte »

•  Crim .,19 avril 2000, pourvoi n°99-84.886, Bull crim2000, n°154 ;

•  Crim .,1er avril 2009, pourvoi n°08-86.336.

•  Crim .,29 mars 2011, pourvoi n°10-87.254. 1

3°) Les troisième et cinquième moyens font grief à l'arrêt d'avoir confirmé les révocations de sursis prononcées par le tribunal alors que, selon le premier, une décision pénale de droit commun ne peut permettre la révocation de sursis prononcés dans des affaires de presse, comme c'était le cas des arrêts rendus par la cour d'appel de Riom les 3 février et 10 mars 2011 et, selon le second, le jugement du tribunal « constitue un grossier faux en écriture publique » en ce qu'il statue sur des révocations de sursis non prononcées à l'audience :

31 S'agissant du troisième moyen :

Aux termes des articles 132-35 et 132-36 du code pénal, dans leur rédaction issue de la loi n° 2014-896 du 15 août 2014 relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales, la juridiction peut, par décision spéciale, révoquer totalement ou partiellement un sursis antérieurement accordé, quelle que soit la peine qu'il accompagne, lorsqu'elle prononce une nouvelle condamnation à une peine de réclusion ou à une peine d'emprisonnement sans sursis pour «  un crime ou un délit de droit commun  ».

II résulte de ces dispositions que la révocation d'un sursis simple n'est possible qu'en cas de commission d'un nouveau crime ou délit de droit commun, mais nullement, comme le prétend le demandeur, qu'une condamnation à une peine de réclusion ou d'emprisonnement du chef d'un tel crime ou délit ne pourrait entraîner la révocation d'un sursis prononcé dans une affaire de presse.

32.S'agissant du cinquième moyen :

Sur ce point, la cour d'appel a prononcé comme suit :

«   Attendu que John HODGKINSON fait également valoir que le jugement frappé d'appel est nul, la révocation des sursis simple(s) ayant été rajoutée après le prononcé de la sentence ;

Qu'il résulte tant des notes d'audience que du jugement querellé que le tribunal correctionnel d'Avignon a condamné le prévenu à une peine d'emprisonnement   délictuel de 8 mois, ledit tribunal ayant ordonné la révocation des sursis simples prononcés le 3 février 2011 par la cour d'appel de Riom, le 10 mars 2011 par la cour d'appel de Riom, le 5 octobre 2012 par la cour d'appel de Nîmes. Que dès lors il y a lieu de rejeter cette exception de nullité.  »

Dans son mémoire personnel, le demandeur soutient certes que les notes d'audience auraient elles-mêmes été complétées pour faire mention de la révocation des sursis.

Mais d'une part, à supposer exacte une telle allégation, elle ne permet pas, en elle-même et à elle seule, d'établir que la décision de révoquer ces sursis n'aurait pas été prononcée publiquement à l'audience, les assertions contraires du demandeur demeurant à l'état de simples allégations insusceptibles de prospérer devant le juge de cassation.

D'autre, et en tout état de cause, quand bien même le jugement de première instance eût-il été nul, cette circonstance ne pouvait faire obstacle à ce que la cour d'appel, saisie de l'entier litige par l'effet dévolutif de l'appel, prononçât elle-même les révocations litigieuses, de sorte que le moyen de cassation proposé est inopérant.

4°) Le sixième et dernier moyen invoque une violation du droit à un procès équitable, que le prévenu tient des articles préliminaires du code de procédure pénale et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, motif pris de ce que l'affaire n'a pas été délocalisée à hauteur d'appel alors que les trois magistrats composant la chambre des appels correctionnels ont manifesté leur partialité à l'égard de l'intéressé :

La chambre criminelle a cependant jugé qu'un demandeur ne saurait mettre en cause, devant la cour de cassation, l'impartialité des juges composant le tribunal correctionnel et la chambre des appels correctionnels, motif pris de ce qu'il a exercé des fonctions de mandataire judiciaire et activité d'enseignement dans le ressort de ces juridictions, dès lors qu'il n' a pas usé de la possibilité d'obtenir le respect de cette impartialité en récusant les magistrats concernés, en application de l'article 668 du code de procédure pénale, ou en présentant une requête en suspicion légitime, sur le fondement de l'article 662 du même code ( Crim . 9 septembre 2009, pourvoi n° 08-87.312).

M.Hodgkinson ne peut donc se plaindre devant le juge de cassation de ce que le procureur général près la cour d'appel de Nîmes n'aurait pas lui-même présenté une telle requête en suspicion légitime.

Par ailleurs, le manque d'impartialité imputé aux magistrats de la chambre des appels correctionnels et, partant, l'atteinte au droit du prévenu à un procès équitable, ne saurait résulter a posteriori, ni de la circonstance que l'intéressé a été condamné en appel au maximum de la peine d'emprisonnement prévue par l'article 434-24 du code pénal, dès lors, et en tout état de cause, que les juges ont dûment motivé leur décision par le fait, notamment, que l'intéressé avait déjà été condamné à onze reprises, dont huit pour des faits similaires, ni de ce qu'ils ont qualifié sa personnalité d' «  extrêmement inquiétante  » au vu des dires de l'expert psychiatre l'ayant rencontré au cours de sa garde à vue.

Conclusion

Les moyens de cassation invoqués n'étant pas susceptibles de prospérer, il est proposé à la chambre criminelle de faire application des dispositions de l'article 567-1-1 in fine du code de procédure pénale et de ne pas admettre les pourvois en cassation formés par M. Hodgkinson contre l'arrêt de la cour d'appel de Nîmes du 9 avril 2015.

 

1. Le rapport, sur cette affaire, de M. Le conseiller Finidori fait le point sur la doctrine et la jurisprudence relatives à la conciliation de l'article 434-24 du code pénal avec la législation sur la liberté de la presse.

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