https://blogs.lexpress.fr/attali/wp-content/blogs.dir/663/files/2010/09/auteur2.jpg

Le sexe de l'économie

Jacques Attali, publié le 12/02/2008

Et si l'économie du sexe était le reflet de l'ensemble de l'économie ? Deux chercheurs américains des universités de Chicago et de Columbia viennent d'étudier 2200 « transactions» effectuées entre 2005 et 2007 par 160 prostituées à Chicago, New-York, Philadelphie et Los Angeles. Leur étude, menée en coopération étroite avec elles et avec la police, montre que la prostitution , miroir grossissant du reste de la société américaine, subissant les mêmes pressions, les mêmes mouvements et les mêmes lois, avec encore plus de brutalité, permet de comprendre un peu mieux le devenir du marché.
La prostitution est d'abord un métier rentable financièrement : le salaire horaire moyen d'une prostituée américaine (27 dollars) est 3 fois plus élevé que celui d'une secrétaire comptable. Les tarifs varient avec la demande (Par exemple le jour de la fête nationale des Etats-Unis, le 4 juillet, les tarifs augmentent de 30 à 60 %) mais aussi, ce qui est plus étonnant, avec l'origine socio-ethnique du client (un client blanc paiera beaucoup plus cher qu'un noir) . La prostitution s'inscrit ainsi, avec la drogue, au premier rang, criminel, de l'économie de la distraction.
L'offre augmente aussi avec la demande avec une augmentation du nombre de travailleurs migrants du sexe, pour le plus grand bénéfice des intermédiaires : Les économies développées, malgré leur discours, ouvrent ainsi largement leurs portes aux immigrants dont ils ont l'usage.
En raison de cette rentabilité et de cette mobilité, la prostitution est devenue un des secteurs les plus recherchés par l'économie du crime : des millions de femmes y sont employées contre leur gré, pour un chiffre d'affaires mondial total dépassant les 80 milliards d'euros, dont plus de 15 milliards en Europe avec 70 % des profits allant, en France, à des proxénètes.
La frontière entre l'économie légale et illégale s'estompe. Beaucoup de pays la tolèrent, la légalisent ou s'apprêtent à le faire. Enfin, et peut-être surtout, de plus en plus, l'offre s'ouvre à des « occasionnelles », qui opèrent sans racolage ni proxénétisme, et qui gagnent en une soirée l'équivalent d'une semaine de travail. La prostitution cesse alors d'être un métier pour devenir une occupation ouverte à toutes et à tous. Le mariage, d'où l'argent ne fut jamais absent, devient alliance fugace, purement matérielle. Jamais l'argent ne fut plus roi.

j@attali.com

Notre Site