Affaire Dutroux, manipulation jusqu'au bout ?

La Belgique est entrée dans une phase redoutée de catharsis -le procès de Marc Dutroux et consorts - qui a de fortes chances d'être un rendez-vous manqué, une sorte de coquille vide qui ne répondra pas aux questions les plus simples que se posent les parents des victimes.  
D'où leur désaveu et une probable absence des familles Russo et Lejeune.

Un pays divisé

La Belgique est divisée plus que jamais en deux parties, celles des non croyants, des esprits supposés 'rationnels' qui estiment que   Dutroux   est un prédateur isolé qui enlevait des enfants pour 'agrandir sa famille' mais aussi un dangereux délinquant à la petite semaine dont les activités criminelles (du vol et du trafic de voitures à la prostitution enfantine et au vol d'engins de chantier en passant par le trafic de drogues et les abus sexuels hyper violents) étaient diversifiées, bref le parfait profil du psychopathe de Cour d'assises. Et pour d'autres, les croyants, Dutroux n'est que la partie émergée d'un iceberg, celle qui a été mise en lumière mais qui cache en fait les activités sophistiquées d'un vaste réseau de pédocriminalité peut-être international et impliquant des personnalités de tout premier plan. En effet, pourquoi 6 enlèvements, 4 morts plus tout ce que l'on ne connaît pas sur les activités de Dutroux en Europe de l'Est, une terrible âpreté au gain et tout son passé pédophile si c'est un homme isolé, en dehors de réseaux ? En ce qui concerne le rapport de force des acteurs de cette tragédie humaine mais aussi médiatique, on peut dire que la presse belge dans une large majorité fait partie du camp des non-croyants (alors que, curieusement, la presse étrangère penche très légèrement pour la thèse du réseau ramifié et complexe) de même que la magistrature, les forces de police et bon nombre d'intellectuels. Quant au milieu politique -peut-être est-ce une façade- il est loin d'être unanime et sans doute est-ce l'effet de la fameuse Commission parlementaire sur l'affaire Dutroux (qui démarra en octobre 1996) qui sensibilisa plus vivement les parlementaires de différents partis (majorité et opposition) au drame des parents et aux carences de l'enquête et qui eux-mêmes firent sans doute un travail de sensibilisation de bon nombre de leurs collègues ? De ce fait, une partie de la classe politique belge n'a apparemment jamais vraiment évacué d'un revers de main méprisant l'hypothèse selon laquelle les réseaux pédophiles existaient bel et bien et que l'affaire Dutroux en constituait une sorte de cas d'école. Quant aux citoyens, dans leur large majorité, ils s'identifient aux parents des petites victimes et voient dans l'affaire Dutroux une sinistre conspiration du silence visant à éluder les responsabilités de tous les auteurs des faits mais aussi les responsabilités des acteurs de l'Etat (enquêteurs, magistrats, experts etc.) qui ont tous contribué à ce que cette affaire soit un gigantesque fiasco. Reste le milieu des avocats qui lui aussi semble être gagné par le virus des non-croyants et du scepticisme, mis à part les avocats des parties civiles (c'est à dire des filles qui ont survécu aux enlèvements et aux agissements de Dutroux) et très curieusement, les avocats de Marc Dutroux lui-même qui doivent refléter la position de leur client, à savoir qu'il ne désire pas être le seul à porter le chapeau. Malheureusement, jusqu'à ce jour (à moins d'un rebondissement de dernière minute dans le procès), Marc Dutroux n'a jamais dénoncé ses supposés complices ou clients hauts placés de façon crédible. Il laisse simplement sous-entendre qu'il n'était qu'un fournisseur, un exécutant, une marionnette et mieux encore, qu'il a tenté de protéger les fillettes des pulsions assassines des têtes du réseau (c'est ce qu'il a fait croire à ses victimes, se présentant ainsi sous un jour favorable, sous les traits d'un protecteur !) A l'entrée du procès, il a précisé cette version des faits en parlant d'une maffia belge dont il ne serait qu'un sous-fifre, rejetant l'entière responsabilité des faits sur Nihoul   mais aussi sur son épouse et sur Lelièvre, le 4ème accusé. Mais qui sont ces 'têtes de réseau', ces chefs de l'ombre? Mystère.

Un silence assourdissant

Quant aux moyens mis en route par les enquêteurs pour poursuivre certaines pistes, découvrir ces réseaux et des chefs, ils ont été mal employés. Pire, on peut dire que quasi systématiquement, les différentes cellules d'enquête qui ont opéré dans l'affaire Dutroux, les dossiers connexes et les différents dossiers d'enfants disparus ont presque toujours fermé des portes plutôt que de les ouvrir, soit par incrédulité, soit par paresse, soit par bêtise, soit pour des raisons que l'on n'ose pas imaginer, à savoir la protection de certains personnages. Depuis l'affaire Dutroux et après la marche blanche de protestation de la population, rien n'a vraiment changé. Lorsque l'on écoute les parents des victimes, on se rend compte que le monde judiciaire et les enquêteurs ne veulent toujours pas les prendre vraiment au sérieux. "Si on devait commencer à écouter toutes les élucubrations de ces pauvres malheureux, où irait-on, soyons sérieux" m'a un jour dit sans broncher un magistrat du Parquet. C'est sans doute une opinion très partagée, un lieu commun au sein de la magistrature et du Parquet. Autre indice que rien n'a vraiment changé: dans les enquêtes sur les affaires d'abus sexuels et les procès de pédophilie, après un bref sursaut parfois excessif juste après la marche blanche, les autorités prennent de plus en plus de recul par rapport aux plaintes des enfants au motif certes légitime du respect de la présomption d'innocence. En d'autres termes, s'il n'y a pas d'autres preuves matérielles dans une affaire de mœurs que les propos accusatoires de l'enfant (ce qui est bien souvent le cas), il y a de fortes chances pour qu'il ne soit pas cru. Quant aux solutions pour éviter la récidive des condamnés, prenons par exemple la fameuse camisole chimique, l'injection qui ôte toute pulsion sexuelle auprès d'un pédophile avéré : les autorités refusent toujours de la rembourser. Or cela coûte très cher (plus de 450 euros/mois) et sera donc souvent hors de portée financière des condamnés.

L'impact des témoins X

Mais revenons à l'affaire Dutroux. A la suite de l'arrestation de Dutroux le 12 août 1996, les fameux témoins X se présentent auprès des gendarmes de la cellule d'enquête de Neufchâteau (localité des Ardennes dans le sud de la Belgique) spécialement constituée pour enquêter sur le dossier Dutroux (suite à l'enlèvement de Laetitia Delhez) et tous les dossiers connexes. Ces témoins répondront de façon indirecte, totalement embarrassante et sans doute incontrôlable pour les autorités à la question de savoir qui sont ces chefs de l'ombre et que sont en vérité ces réseaux. Ces témoins X et donc ce dossier 'Bis' -celui des réseaux- qui a été volontairement écarté du procès Dutroux, que le juge Langlois  ne semble pas empressé de prendre à bras le corps et que la Justice envisage d'examiner peut-être un jour, ce dossier Bis donc laisse entendre que des hommes puissants, situés à la tête de l'Etat, voir dans la famille royale belge, que des industriels et des hommes d'affaires du plus haut niveau, que des hommes politiques d'envergure, des magistrats, des gendarmes etc. sont les clients, les consommateurs ou les chefs de ces réseaux. Qu'il s'agit même en quelque sorte d'un mode de vie dans lequel 'on' est initié -un peu comme on peut l'être dans une société secrète- et où on obéit à une incontournable et mortelle loi du silence ! Il s'agit d'une initiation à des pratiques sexuelles hyper violentes, à des meurtres, à de l'anthropophagie, de la coprophagie, de la zoophilie, à de la toxicomanie, à des chasses à l'homme, bref à tout ce qui finit par incarner le mal absolu comme si le mal absolu ou le bien absolu n'était qu'une même chose, les revers d'une même médaille, celle du pouvoir. Ces témoins X dépeignent donc une Belgique gangrenée par ces pratiques où chaque acteur acquiert du pouvoir dans la mesure où il possède des informations compromettantes sur ses collègues. Quant à Dutroux, on peut dire qu'il est impliqué dans cet aspect du dossier de façon très indirecte -il ne serait que l'un des fournisseurs- et tardif, dans la mesure où ces réseaux existent depuis longtemps, -au moins depuis les années 50 et 60 selon un des témoins X, sans doute depuis toujours. Michel Nihoul, autre inculpé dans l'affaire Dutroux, est plus volontiers cité par les témoins X, on peut même dire que c'est son passage en tant que suspect puis inculpé devant tous les écrans de télévision des foyers belges qui a suscité ces vocations à témoigner et à dénoncer ces réseaux. Ce dossier 'Bis' a malheureusement joué un rôle très néfaste dans l'affaire Dutroux, il est même devenu du pain béni pour les non-croyants. Car au vu de l'apparente invraisemblance de certaines accusations, au vu de l'énormité de l'implication de certains hauts personnages qui y sont dénoncés, une partie des enquêteurs et de la presse a eu beau jeu de montrer que l'entièreté du dossier Dutroux était contaminée par les allégations de mythomanes. Bref, qu'il existait une autre conspiration, celle de certains déséquilibrés (quelques témoins relayés par des 'journalistes en mal de notoriété et de sensations fortes', selon les non-croyants) qui ont voulu déstabiliser l'Etat belge pour des raisons d'ego en répandant des mensonges et des inepties. Tout cela ne faisait bien entendu pas l'affaire des parents des petites victimes de Dutroux qui constataient alors, quasi simultanément, que le juge d'instruction Langlois, qui avait succédé à son collègue évincé parce que jugé trop proche des parties civiles, ainsi que la majorité des enquêteurs en profitaient pour cadenasser l'enquête, l'orienter et fermer toutes les portes qui auraient pu mener à des aspects plus complexes, plus subtiles ou plus embarrassants de ce dossier. Le pli a donc été irrémédiablement pris et ce, sans doute jusque dans le procès même.

Histoire d'une errance

Comment cette enquête sur le dossier Dutroux s'est-elle fourvoyée ? Et pourquoi les parents des victimes ont-elles l'impression d'avoir été roulés dans la farine ? Un simple récit (très résumé, nous en convenons) des aléas de l'enquête est très éclairant. Mettons-nous, tant que possible, à la place des parents de Julie et Melissa, d'An et Eefje, du moins tentons de nous rendre compte de ce que certains d'entre eux (surtout les Russo et les Lejeune) savaient de l'enquête sur la disparition de leurs filles après quelques mois, sans doute dès septembre 1995.

En 1993, des gendarmes de la région de Charleroi (région du centre sud de la Belgique où Dutroux vit) sont déjà au courant, au minimum par le biais d'un indicateur, que Marc Dutroux construit des caches et a pour projet d'enlever des enfants. Dutroux est en effet dans le colimateur des enquêteurs puisqu'il est déjà bien connu pour ses activités délinquantes: vols de voitures, de véhicules utilitaires, vols de bijoux, coups et blessures, viols et attentats à la pudeur perpétrés contre des jeunes adolescentes qu'il repère à la sortie des écoles ou de piscines. En juin 1995, quelques jours avant l'enlèvement de Julie et Melissa, un indicateur -proche de Dutroux- donne rendez-vous à deux gendarmes dans un coin retiré et leur précise que Marc Dutroux prépare "un gros coup". Cet indicateur sait d'autant mieux de quoi parle Dutroux que ce dernier lui avait déjà proposé auparavant de participer à des enlèvements d'adolescentes ou de petites filles, lui précisant même que l'activité était très rémunératrice puisqu'on lui proposait 150.000 francs belges (environ 3 500 euros) par kidnapping. Dutroux n'a jamais précisé à l'indicateur l'identité du "on" (et il refusera obstinément de le faire après sa capture ; au procès, il prétend l'ignorer), c'est à dire des commanditaires de ces enlèvements. L'informateur refuse catégoriquement de participer à ces faits et préfère avertir les gendarmes. Dans l'après-midi du 24 juin 1995, les petites sont enlevées et quelques jours plus tard, l'informateur a un autre rendez-vous avec les enquêteurs. Il leur dit que Dutroux lui a proposé de participer à un "gros coup", qu'il est à peu près certain que Dutroux est derrière ces enlèvements et les gendarmes lui affirment en retour, à sa grande stupéfaction qu'ils sont eux aussi certains à 99% de Dutroux a enlevé les petites et que la situation est sous contrôle. Des propos que ces mêmes gendarmes ne se souviendront plus avoir tenu lorsqu'on leur demandera des comptes sur leur façon de travailler. Pire encore, selon l'indicateur, toutes les informations qu'il a données aux membres de la maréchaussée sur Dutroux et les caches qu'il a construites ne se retrouvent pas dans les procès-verbaux et notes de travail qu'ils ont donnés aux magistrats puis à la commission d'enquête parlementaire. Curiosité ou plutôt énième mystère du dossier : Dutroux qui est en aveux de 4 autres enlèvements et de tous les faits de séquestration nie être l'auteur de l'enlèvement de Julie et Melissa. Il admet uniquement avoir réceptionné ou plutôt "retrouvé" les petites chez lui. Il dénonce Bernard  Weinstein (qui n'est plus là pour se défendre) et Michel Lelièvre comme étant les ravisseurs. Autre curiosité : selon un témoin qui a assisté à l'enlèvement, les deux petites sont montées dans la voiture sans opposer de résistances, comme si elles connaissaient le ou les occupants de la voiture. Ce qui ne colle pas évidemment à Weinstein ou Lelièvre ou même Dutroux qui ne sont pas supposés les connaître. Résultat : au procès, personne n'est inculpé de l'enlèvement ni même du meurtre des deux petites ! Des rumeurs ont même laissé sous-entendre que cet enlèvement était sous contrôle mais nous verrons ce que cela peut signifier.

Dutroux surveillé depuis toujours ?

Le 23 août 1995, Ann et Eefje Lambrecht   sont enlevées dans le Nord du pays, sur la côte belge par Dutroux et un complice, fait pour lequel Dutroux est en aveux. La Gendarmerie, censée surveiller Dutroux de près, n'a toujours rien fait. L'intéressé a réussi donc à 'gérer' l'enlèvement de 4 filles, donc à rester suffisamment discret et furtif. En attendant, les enquêteurs de la région de Liège dont sont originaires les familles Russo et Lejeune, les parents de Julie et Melissa, précisent à ces derniers que l'enquête risque d'être très longue, un processus de longue haleine et laissent sous-entendre qu'il ne faut pas trop se faire d'illusions sur les chances de retrouver les petites vivantes. Incroyable que des gendarmes, certes d'un autre district que celui de Charleroi, affirme cela aux parents alors que Dutroux serait déjà repéré et donc sous contrôle dès le départ. Au même moment, les rapports des parents avec la juge d'instruction et avec le Parquet de Liège (le district officiellement chargé au départ de l'enquête sur la disparition) sont d'un froid polaire, voire inexistants. Un débat télévisé organisé en septembre 1995 montre à quel point les relations entre les parents de Julie et Melissa et la Justice sont exécrables. D'une part, il y a ces parents qui tentent de rester dignes, de garder un visage humain mais qui -et c'est un euphémisme- s'impatientent. D'autre part, il y a cette Justice imperturbable qui refuse par exemple aux parents et à leurs avocats l'accès au dossier. Le Procureur général de la Cour d'appel de Liège, Léon Giet, le chef du Parquet de cet arrondissement, incarnera à cette époque cette Justice hautaine qui désire à travers tout conserver ce que les magistrats nomment "de la sérénité" et un respect des "traditions". Car ce refus d'accès au dossier est moins une affaire de loi mais bien plus une simple tradition. On remarque à ce moment de l'histoire le gouffre de cultures entre les deux parties : des parents qui tablent sur le registre de l'efficacité, du pragmatisme et de l'émotion, une Justice obsédée jusqu'au ridicule et au tragique par le respect des formes et totalement incapable d'une véritable empathie, si ce ne sont que des pitoyables grimaces de commisération et de pitié un peu guindée, parfois même agacée à l'égard des parents. La Justice belge n'a vraiment pas l'habitude qu'on lui demande des comptes. Mais pour d'autres, cette froideur, cette insensibilité des magistrats dissimulent en fait leur malaise et une impérieuse nécessité de camoufler les vraies dimensions que pourraient prendre cette affaire 'Julie et Melissa'.

"Les enfants seront là pour Noël!"

Fin août 1995, la Gendarmerie de Charleroi décide de renforcer leur surveillance de Dutroux en mettant en place le dispositif de l'opération Othello. Puis, presque concomitamment, toujours en septembre, l'un des enquêteurs, un certain Valère   Martin affirme à un proche des parents des petites - en fait à l'oncle de Melissa - que l'une des deux petites (baptisée sous la désignation de 'A') a été repérée de même que son kidnappeur qui est prénommé 'le prédateur' dans la conversation alors que l'on a pas encore pu identifier où se trouve la petite 'B'. Le gendarme ajoute que l'intervention pour libérer les enfants A et B n'a pas encore eu lieu parce que les forces de police veulent avoir l'assurance qu'on libérera en même temps les deux enfants et que l'on arrêtera tous les protagonistes de l'affaire. Mais que les enfants seront là pour Noël ! Mettez-vous un instant à la place des parents qui doivent garder leur sang froid. On leur dit que les petites sont vivantes alors qu'officiellement, les enquêteurs affirment presque le contraire. On leur demande de rester discrets, de se taire, de ne pas intervenir pour ne pas compromettre l'enquête (note: en commission d'enquête parlementaire, le gendarme Martin niera avoir tenu pareils propos à l'oncle de Melissa). Le temps passe et rien ne bouge. Les parents décident de faire confiance, malgré tout. A la lumière de ce qui est vraiment arrivé, ils doivent s'en mordre les doigts et avoir une rancœur certaine (c'est un euphémisme) à l'encontre des verbalisants.

Une opération proactive?

Le pire est encore à venir. Dutroux est donc, rappelons-le, placé sous surveillance par la Gendarmerie, un dispositif assez léger qui ne fonctionne que deux heures par jour, l'après-midi, et qui consiste en la surveillance des allées et venues devant son domicile de Marcinelle dans la région de Charleroi, officiellement dans le cadre d'un trafic de véhicules volés, officieusement dans le cadre du volet 'disparition Julie et Melissa'. La légèreté de ce dispositif de surveillance ne peut se comprendre stratégiquement que si l'on se dit soit que les gendarmes sont fauchés, soit que les gendarmes perçoivent Dutroux comme un simple rouage d'un réseau beaucoup plus vaste qu'ils désirent surveiller pour en appréhender l'ampleur le plus discrètement possible. La libération des enfants semble accessoire par rapport à la collecte d'informations. Une opération curieusement appelée opération Othello. Sur laquelle les magistrats et le parquet ne sont pas vraiment informés ! Les gendarmes gardent tout pour eux, jusqu'au moment, pensent-ils où ils pourront donner au juge et au Parquet le réseau sur un plateau d'argent. Où, selon une autre hypothèse, collecter des informations très sensibles qui leur donneront un pouvoir certain dans l'univers du renseignement. Cette technique d'enquête est baptisée par un certain qualificatif ; celui de la pro-activité. C'est du moins l'explication implicite que la Gendarmerie admettra du bout des lèvres pour justifier ces drôles de méthodes où l'information ne circule pas avec les chefs d'enquête que sont les magistrats instructeurs. La pro-activité consiste à opérer dans une enquête un travail d'observation, en quelque sorte à laisser le crime se perpétrer et se développer pour arriver à identifier tous les protagonistes de l'affaire. Une politique très risquée, pratiquée surtout par les polices américaines qui réussissent parce qu'elles sont équipées mais aussi parce que ce type de procédure est légal aux Etats-Unis. En Belgique, le comble d'une opération proactive comme par exemple un achat provoqué de drogue avec des faux acheteurs est illégal. Certaines sources nous ont même indiqué que le volet Julie et Melissa était une opération proactive de la Gendarmerie. Que ce corps de police était au courant de l'enlèvement ! Et que l'opération aurait mal tourné parce que l'état-major était bien plus intéressé par le potentiel de l'affaire, à savoir la perspective de rassembler des informations compromettantes sur certains personnages impliqués dans un réseau, que de libérer les fillettes. Il s'agit plus ici d'une hypothèse que d'une certitude, c'est du moins ce que nous en avons déduit des propos de notre source. Les juges d'instruction de Charleroi (volet voitures volés) et de Liège (volet enlèvement Julie et Melissa) ont affirmé lors la commission d'enquête ne jamais avoir été tenus au courant des réels motifs de l'opération Othello ainsi que de son suivi au jour le jour.

La Gendarmerie reste passive

Début décembre, suite à des maladresses commises par Dutroux et à des plaintes déposées par des jeunes complices qui avaient réussi à échapper à une séquestration, la Police communale, interférant sans doute sans le savoir dans le dossier Othello, arrête Marc Dutroux dans le cadre d'un tout autre dossier de vol de camion et de coups et blessures. A ce point de l'histoire, on se dit que très logiquement, les carottes sont cuites pour Dutroux, on se dit que les enquêteurs vont remuer ciel et terre, profiter de l'incarcération du satire de Marcinelle pour retourner pierre par pierre tous les bâtiments dont il est le propriétaire. Une fois absent, les fillettes devraient moins être en danger de représailles. Eh bien, il en a été tout autrement. Dutroux sera interrogé sur le volet 'voitures volées' mais pas un mot sur Julie et Melissa, sur les caches, pas une allusion. Ni même sur An et Eefje, les deux adolescentes enlevées sur la côte belge dans des conditions rocambolesques par Dutroux et un complice pendant l'été. Elles sont sans doute déjà mortes. Lors de sa 'deuxième' arrestation - la bonne, celle-ci - Dutroux dira que c'est Bernard Weinstein, l'un des ses complices qu'il a supprimé et qui n'est plus là pour se défendre, qui est l'auteur de l'assassinat d'An et Eefje. On le laisse gentiment macérer quelques semaines en prison jusqu'à sa libération en mars 1996, pour 'raisons humanitaires'. Parce qu'il est père de plusieurs enfants et chef de famille. Pendant son incarcération, les gendarmes feront une timide perquisition dans le cadre de l'instruction 'voitures volées' dans la fameuse et sinistre maison de Marcinelle, celle où se situe la célèbre cache dissimulée derrière une étagère amovible dans la cave, celle qui a servi à tant et tant de viols. Lors de son interrogatoire en commission, le gendarme responsable de la perquisition admettra que le but non avoué de ce devoir était de retrouver des indices sur l'existence de ces caches ou sur le passage éventuel des fillettes. Mais il s'agissait d'un but occulte donc la perquisition s'est faite sans moyens adéquats, sans chiens pisteurs, sans caméras infrarouges. Le gendarme entendra même des chuchotements d'enfants pendant la fouille des lieux. Mais n'insistera pas plus que cela. La perquisition sera tellement bâclée que les cassettes vidéo qui furent saisies ne seront apparemment pas (c'est une des explications qui circulent, mais il y a tellement sur ces cassettes) visionnées correctement par les enquêteurs dans l'immédiat. Ce n'est que 4 ans plus tard, en 1999, que l'une des cassettes visionnées par un enquêteur révèle son instructif contenu : Dutroux occupé à construire l'une de ses caches, Dutroux en train de violer une jeune Slovaque en 1995. On avait là toutes les preuves pour inculper plus sérieusement l'intéressé et pour faire pression. Mais en 1999, il est déjà trop tard. Et comme d'habitude, une partie des cassettes se perdra on ne sait où dans leurs pérégrinations dans les dédales administratifs de la Gendarmerie. Une autre partie sera rendue à Dutroux. Incroyable, non, dans une enquête de toute première importance ?

Dutroux avoue enfin

Mais revenons à l'historique de l'enquête : Dutroux finit donc par être libéré en mars 1996 et lorsqu'il arrive à Marcinelle, il découvre les deux fillettes à l'agonie. C'est du moins ce qu'il raconte lors de ses interrogatoires après sa capture. Il les aurait veillées jusqu'à leur mort. Les deux fillettes ont été détenues pendant plus de 100 jours en son absence, le temps de son incarcération. Ont-elles été tuées avant la première incarcération de Dutroux ? C'est du moins ce qu'il finit par révéler lors de son procès. Comment ont-elles pu survivre dans cette cache minuscule (l'hypothèse du juge) sans avoir été ravitaillées constamment en nourriture ? Sont-elles toujours restées dans ces caches? Des témoins affirment les avoir vues dans d'autres coins du pays, ce qui implique qu'elles ont pu être baladées et donc peut-être 'vendues' à autrui. Le juge d'instruction n'a pas estimé nécessaire de faire des devoirs d'enquête sur cet aspect crucial du dossier. Pendant son emprisonnement, l'épouse de Dutroux nourrira ses chiens mais pas les deux fillettes alors qu'elle était censée le faire. Ces deux horribles décès ne refroidiront pas Dutroux, bien au contraire, puisque coup sur coup, il enlèvera 2 autres filles. Et les gendarmes, qui devaient normalement être sur les dents, surtout après ces nouvelles vagues de disparitions, ne changeront pas leur politique à l'égard de Dutroux. Pourquoi? C'est bien là, le mystère. Pire encore, après sa libération la Gendarmerie relâche complètement son dispositif de surveillance (Othello a été officiellement abandonné le 25 janvier 1996). L'homme est complètement oublié un peu comme s'il n'avait jamais existé ou comme s'il s'était amendé. Le 28 mai 1996, Sabine Dardenne, jeune adolescente de 12 ans est enlevée par deux individus à Kain près de Tournai, dans le sud de la Belgique. Et le 9 août, Dutroux enlève Laetitia Delhez devant la piscine de Bertrix. La Belgique est sens dessus dessous. Pas les gendarmes. Heureusement, un passant dont l'attention avait été attirée par la camionnette de Dutroux qui stationnait de façon gênante sur un trottoir a relevé une partie de l'immatriculation du véhicule. Et, heureusement pour la petite, le juge Connerotte de Neufchâteau est en charge de l'affaire qui échappe ainsi à la gestion en circuit fermé opérée par la Gd. Le 13 août, le juge ordonne une nouvelle perquisition chez Dutroux avec plus de moyens. Résultats négatifs. Encore. Dutroux et consorts sont interrogés et heureusement, Lelièvre puis Dutroux passent aux aveux. Dutroux décide "de donner les filles". Le 15 août, elles sont enfin libérées de leur cache qui se trouvait dans la maison tant de fois perquisitionnée. Un mois plus tard, les corps d'An et Eefje sont découverts.

Une enquête orientée

Les témoins X se présentent les uns après les autres dans les remous de l'enquête Dutroux. Et la presse se déchire entre partisans des réseaux et tenants d'une thèse où Dutroux est un psychopathe isolé et mythomane. Le 14 octobre 1996, le juge d'instruction Connerotte, perçu par le public comme un magistrat volontaire qui ira jusqu'au bout de l'enquête, est dessaisi du dossier par la Cour de Cassation parce que jugé trop proche des parties civiles. Et le juge Langlois est désigné. Il donnera une toute autre direction à l'enquête. Sa méthode de travail consiste à faire le tri, à fermer les portes plutôt qu'à les ouvrir, à enquêter sur les éléments matériels qui peuvent servir à étayer sa thèse et rien que sa thèse : celle d'un prédateur isolé. Pas de confrontation entre les inculpés, mise à l'écart systématique des témoignages qui ne collent pas avec une certaine vision du dossier voire intimidation de témoins. Le dossier est nettoyé et découpé en plusieurs volets distincts de façon à ce que le procès qui aura lieu devant la Cour d'assises se limite à certains faits plutôt que d'autres. Certains enquêteurs viendront se plaindre auprès des parents des méthodes de travail pour le moins partiales du juge Langlois. L'histoire des analyses génétiques des cheveux et des micro traces retrouvées dans la maison de Marcinelle qui pourraient éventuellement démontrer qu'il y avait du passage dans la maison de Dutroux et donc, que les petites ont pu être 'exhibées' ou offertes à d'autres personnes est exemplaire. Pendant des années, le juge Langlois refuse obstinément d'analyser ces traces qu'il estime non pertinentes. Peu avant le procès, changement de cap tout en laissant sous-entendre que cette analyse ne révélera rien parce qu'elle arrive trop tard, hors délai et qu'en plus une telle analyse et de tels prélèvements n'ont de sens que lorsqu'elles ont lieu juste après l'arrestation des suspects. Bref, si Langlois semble très éloigné des parents des victimes, Connerotte est jugé trop proche. Quelques jours après la décision de la Cour de Cassation, c'est la fameuse marche blanche, soit une marche silencieuse de 350.000 personnes dans les rues de Bruxelles. Du jamais vu en Belgique. Les années passent, la Commission d'enquête parlementaire se clôture sur une impression très mitigée et l'on promet des réformes. Les parents Russo quant à eux ne seront reçus par le juge Langlois qu'en 1999 pour leur signifier en fait qu'ils vont être poursuivis pour 'outrages à gendarme', une prévention qui signifie que les parents auront des comptes à rendre car ils ont osé critiquer l'enquête et des enquêteurs. Pour faire passer la pilule, on fixera la date de ce procès pour qu'il débute bien après le procès Dutroux aux Assises du Luxembourg (Arlon).

Des parents et des comités sous surveillance?

A la vue de cette perspective de l'affaire, on comprend aisément pourquoi les parents ne veulent en aucune manière participer au procès. Car cela reviendrait quelque part à cautionner toutes les errances et dérapages de l'enquête. Des parents qui demeurent méfiants à l'extrême et qui se demandent encore aujourd'hui comment leurs petites filles sont mortes et pourquoi le pouvoir judiciaire refuse avec une telle obstination d'examiner la possibilité qu'un ou plusieurs réseaux pédocriminels seraient impliqués.

Quant aux comités blancs qui ont cristallisé la réaction citoyenne des Belges, ils ont été secoués par de nombreuses querelles, infiltrés et sans doute récupérés pour être mieux contrôlés. A bonne source, nous avons appris que les centres nerveux des comités blancs ont été 'récupérés' par un certain type de lobby, de droite, conservateur et chrétien traditionaliste. Quant aux parents, ils ont fait l'objet de nombreuses approches de personnages parfois suspects au rôle plus qu'ambigu. La Gendarmerie elle-même a envoyé sous les traits d'un psychologue chargé de les aider, un agent informateur qui a fini par être mis à la porte lorsqu'il a dû révéler qu'il dressait des rapports de ses entretiens avec les parents à destination de la l'état-major. Il faut se rendre compte que ces parents de victimes ont été au centre de nombreuses attentions, qu'ils ont reçu des informations sensibles, qu'ils sont donc susceptibles d'en savoir beaucoup, peut-être plus que certains enquêteurs. Qu'ils ont aussi été approchés parfois indirectement par des témoins, des victimes, voire même des délinquants ou des pédophiles repentis. Et qu'à ce titre, il devenait vital de pouvoir les surveiller, les contrôler ou les influencer. Car le pouvoir médiatique des parents a été et est encore énorme. Il convenait donc d'une certaine façon de cadenasser leur entourage autant que faire se peut et de leur donner des conseils sur les personnes qui sont amenées à leur fournir des informations. L'interview que nous a accordée le gendarme Willy   Holvoet est révélatrice sur certains de ces aspects. La Gendarmerie quant à elle est plus que jamais intouchable et s'en tire intacte de l'opération par un habile tour de passe-passe. En effet, suite à la marche blanche, le gouvernement a mis en place une réforme des polices qui a pour conséquence la constitution d'un corps de police unique dans lequel l'ex Gendarmerie a tenu le haut du pavé, phagocytant littéralement les autres corps de polices (PJ et polices communales). Le grand patron de cette police unique est évidemment un gendarme, l'ancien grand patron de la GD de l'époque. Et les officiers responsables de près ou de loin des enquêtes sur les disparitions d'enfants, que cela soit au niveau de l'organisation, de la logistique ou du travail de terrain n'ont jamais été punis. Certains ont même reçu une promotion. Jamais, à notre connaissance, une telle affaire a pu prêter autant le flanc à des questions. Les magistrats, les enquêteurs, une bonne partie de la presse belge s'indignent et s'étonnent des 'dérives conspirationnistes' de l'affaire, s'énervent parce que de nombreux intervenants ainsi qu'une bonne partie de l'opinion publique se demandent légitimement si les pires scénarii conspirationnistes ne sont pas d'application, si les témoins X n'auraient pas dit la vérité, si Dutroux et Nihoul ne seraient pas les fournisseurs d'un réseau de consommateurs hardcore constitué par des personnages importants.

Justice malade et interprétation conspirationniste

S'il n'y avait qu'un seul dérapage, on pourrait conclure que le scénario conspirationiste serait une interprétation abusive. Mais dans l'affaire Dutroux, les dérapages et maladresses sont une règle constante. De même que dans les autres dossiers connexes. Comme si les autorités jusqu'il y a peu se montraient systématiquement rétives ou incapables de gérer des dossiers de cet acabit !

Ce qui est effrayant, c'est que d'autres pays ont montré des lacunes similaires dans la gestion de dossiers de mœurs et de pédophilie. Au Portugal, par exemple, où de hauts personnages de l'Etat sont cités. En France, dans l'affaire Alègre où un gendarme, forcé de prendre sa retraite, semble rencontrer les mêmes difficultés que ses collègues belges lorsqu'ils ont accueilli les témoins X et leurs incroyables et atroces récits.

Le gendarme que nous avons interviewé ressent une certaine colère face à tous ces dérapages auxquels il a assisté aux premières loges. Sa rancœur, son indignation et son caractère sanguin l'ont fait passer auprès des autorités et d'une certaine partie de la presse pour un déséquilibré, un témoin non fiable. C'était méconnaître sa tragédie personnelle. Car si Willy Holvoet en est arrivé à faire une grève de la faim en 2003, c'est qu'il n'avait plus que ce moyen pour se faire entendre. Ses côtés impulsif et inflexible l'ont presque complètement isolé sur la scène médiatique. Nous le connaissons bien. Nous avons suivi ses activités de représentant syndical de la Gendarmerie depuis 1995, soit presque 10 ans. Tous les dossiers, toutes les 'bavures' dont il nous a parlé se sont révélés exacts. Comme le rejet de matières polluantes dans les égouts bruxellois sans aucune précaution et en contravention totale avec la législation de protection de l'environnement par le laboratoire photographique de la Gd. Où la dénonciation de faits d'attouchements et d'attentats à la pudeur opérés par un médecin officier de la gendarmerie sur des gendarmettes ! Ou encore la constitution d'un fichier illégal et clandestin sur des personnalités de gauche ou du monde associatif. Ou encore la dénonciation d'un trafic de pierres précieuses à l'ambassade de Belgique à Kinshasa. Voilà le palmarès de Willy. Qui a travaillé dans les unités ABT, anti banditisme et terrorisme. Mais aussi à la sécurité de l'ambassade de Belgique au Zaïre ou au laboratoire photo du BCR, puis enfin à la bibliothèque de ce même BCR. Aujourd'hui, l'intéressé a été mis sur une voie de garage à cause de son comportement jugé trop remuant. Mais aussi parce qu'il est suspecté d'avoir dénoncé auprès de la commission d'enquête parlementaire Dutroux une manœuvre illégale du BCR qui consistait à effacer des disques durs de leur système informatique toutes les informations sur Dutroux et qui par conséquent, pouvaient démontrer que le BCR en savait fort long sur l'intéressé et qu'il était bien entendu le suspect numéro un dans l'enquête sur la disparition de Julie et Melissa. Il est aussi suspecté par sa hiérarchie d'avoir révélé à la presse la constitution d'un fichier illégal de photos de mineurs d'âge (des enfants gitans) par le BCR, le bureau central de recherche. Après avoir été écarté d'un service actif au sein de la gendarmerie, Willy entrera en relation avec l'association Morkhoven, un groupe très controversé de citoyens du Nord du pays animé par Marcel Vervloessem  et dont le but est de dénoncer des réseaux pédophiles. C'est là que Willy entamera sa grève de la faim. L'homme est d'autant plus motivé que l'un de ses enfants a lui-même été victime de faits de mœurs perpétrés par un chauffeur de bus scolaire de la région où il réside. L'enquête dans le cadre de ce dossier a curieusement été plus que bâclée. Comme celle relative à l'assassinat de son père perpétré à la frontière belgo-française. Nous lui cédons donc la parole.

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